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Les livres de Jérôme Thirolle
29 mai 2012

Une vie de célibataire...

Au loin PhotoJT

 

« Harassée par une quantité de travail relativement importante, Cécile Mesnie-Hellequin n’était pas fâchée de voir la journée se terminer. Il était environ dix-huit heures trente quand elle referma machinalement derrière elle le verrou de son appartement, comme elle le faisait tous les jours en rentrant, avant de nourrir Youpi, un sympathique poisson rouge qui combattait avec ténacité une neurasthénie récurrente entretenue par les inévitables circonvolutions imposées par la forme de son bocal. Le bruit que Cécile faisait en déposant dans le récipient la dose exacte deflocons “pour poissons en bonne santé et résistants” comme le précisait l’étiquette, demeurait avec celui du verrou de la porte d’entrée les principaux signaux sonores de son isolement sentimental. Elle vaquait donc à quelques menues occupations : ranger la lessive de la veille, les chaussettes dans le tiroir du haut, les culottes dans celui du milieu (chaque fois qu’elle apercevait ses sous-vêtements, elle se promettait d’aller faire un tour en ville pour renouveler sa garde-robe intime mais n’y donnait jamais suite), jeter un œil au courrier du jour (généralement des publicités et des factures mais depuis que la concierge avait apposé sur la porte des communs un autocollant “pas de pub, svp”, il ne lui restait plus que les factures…) et terminer quelques bricoles entamées la veille ou l’avant-veille.

Elle se prépara ensuite comme à l’accoutumée un plateau télé dont la composition ne variait qu’en fonction des saisons. En cette soirée de mi-octobre, le menu était identique à celui du jour précédent : bol de soupe (une minute trente au micro-onde sinon c’est trop chaud), de préférence à base de légumes, un morceau de pain, une part de fromage, un yaourt et une pomme. Le tout accompagné d’un verre d’eau. La vie privée de Cécile pouvait se résumer simplement : discrétion, sobriété, frugalité. Tout le contraire de ce qu’elle voyait à l’écran en mangeant. Qu’il s’agisse des journaux télévisés où l’information pré-mâchée en devenait indigeste tant elle était orientée et insipide, ou des émissions de divertissement qui ne parvenaient plus à se renouveler, l’image donnée de la réalité contemporaine était à cent lieues de celle que connaissait la jeune femme. Il n’y était question que de mensonges et de violence, de sexe et d’étalage de la sphère intime au grand jour. Il faut croire cependant que les téléspectateurs en étaient friands puisque les émissions ne tournaient plus qu’autour de ces thèmes. Il y avait d’ailleurs là un paradoxe intéressant : plus le nombre de chaînes s’était accru et plus la diversité des programmes s’était restreinte. A l’image du libre-arbitre des nouveaux voyeurs qu’on décérébrait consciencieusement au fil de jours. Les femmes médecins dans les hôpitaux étaient toutes des top models racés aux mensurations parfaites, les assistantes sociales de secteur disposaient de tous les moyens pour faire reculer la misère qu’elles côtoyaient, les commissaires de police vivaient dans de véritables hôtels particuliers aux portes de Paris (quand on connaît le prix de l’immobilier et le niveau des rémunérations de la fonction publique, on peut en douter) et les performances sexuelles des uns et des autres n’avaient rien à envier aux hardeurs les plus impénitents. L’irréalisme haussé au rang de nouvelle religion ! Personne n’y croyait mais tout le monde s’y reconnaissait ! On était là vraisemblablement devant le nouvel opium du peuple.

Dire que Cécile en était frustrée n’aurait pas été tout à fait juste. Elle regrettait plus simplement que sa vie ne prenne pas une autre tournure, d’autant que les années passaient et qu’avec l’âge elle risquait de s’enfermer davantage dans sa solitude. »

 

Extrait du Boiteux du parc Sainte-Marie, pages 100-101

 

 

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