Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les livres de Jérôme Thirolle
4 novembre 2012

Frau Trefandhéry

Aigle PhotoJT

« Allez me chercher madame Trefandhéry ! demanda Christmann von Merckl avec courtoisie au soldat qui était de faction devant sa porte.

Jawohl, Herr Hauptmann ! »

Quelques minutes plus tard, il était de retour avec Élise qui le suivait. Il la fit entrer dans le bureau et referma la porte.

_ « Christmann von Merckl ! Capitaine de l’armée du Reich, pour vous servir, Madame ! dit-il en claquant des talons.

Élise ne répondit pas. »

« Je vous ai fait venir dans mon bureau pour que nous puissions faire un peu connaissance...

– Il ne s’agit pas de votre bureau ! Jules Trefandhéry et Nathan Grasserburger l’ont occupé avant vous, dignement...

– Je n’en doute pas un instant, Frau Trefandhéry, il se peut néanmoins que notre collaboration soit la seule garantie de survie pour la ganterie...

– Le terme me semble inapproprié, ajouta Élise avec dureté.

– J’ai été maladroit, je vous le concède ! Veuillez m’en excuser... La direction de la ganterie m’a été confiée. Je vais donc l’administrer avec rigueur mais avec justice !

– Que peut signifier le mot “justice” dans la bouche d’un homme en uniforme ?...

– L’un et l’autre ne sont pas incompatibles, Frau Trefandhéry...

– En théorie peut-être, mais dans votre cas, j’en doute...

– Permettez-moi un conseil, Madame : vous prenez à mon égard des libertés que beaucoup n’accepteraient pas...

– C’est une menace ?

– Non, Frau Trefandhéry, un conseil ! Juste un conseil... Vous avez perdu la guerre, ne l’oubliez pas ! Vous avez capitulé ! Les vainqueurs ont des droits que vous n’avez plus... Je comprends votre détresse et votre réaction vous honore autant qu’elle vous met en péril ! Ne prenez pas le risque de faire de même avec certains de mes compatriotes ! Ils n’auront ni la patience dont je fais preuve ni le recul nécessaire pour ne pas en prendre ombrage...

– Je n’ai que faire de vos conseils...

– Pourquoi cette hargne ? Elle est déplacée et inutile ! C’est un honneur pour moi d’administrer cette manufacture dont j’appréciais les gants avant guerre !

– Parce que vous savez que ce sont des gants que nous élaborons ici ? demanda Élise avec ironie.

– Oui, Madame. Quand Howard Carter a découvert le tombeau de Toutankhamon dans la Vallée des Rois, j’étais en poste là-bas. J’avais hâte de regagner l’Allemagne pour y retrouver celle que je devais épouser. En cadeau de fiançailles et en mémoire de mon séjour en Egypte, je lui ai offert une paire de gants de la série Pharaon. Je trouvais que c’était tellement plus original et élégant qu’une bague... Je m’en souviens comme si c’était hier... Elle en a pleuré de joie. Elle adorait ces gants...

Elle aurait tout autant apprécié ceux des Jeux Olympiques de 1924 que je devais lui rapporter...

– Pourquoi “aurait” : elle n’en a pas voulu ?

– Non, mais des soldats français occupant la Ruhr en ont décidé autrement. À l’issue d’une beuverie, ils l’ont croisée qui rentrait du théâtre...

– Et alors ?...

– Ils l’ont violée chacun à leur tour avant de lui fracasser le crâne avec un pavé de la rue... » L’officier allemand termina sa phrase les yeux luisant de larmes contenues...

« Toutes mes excuses... murmura Élise, mal à l’aise.

– Ce sont les horreurs de la guerre comme vous dites en France !... La vie prend parfois un cours inattendu... En tout cas, pour répondre à votre question, je sais très bien que ce sont des gants que les Établissements Trefandhéry produisent... Et c’est pour cela que je suis ici aussi ! »

Élise regardait avec une certaine stupéfaction cet homme élégant sanglé dans son uniforme vert et noir, marqué de l’aigle tenant entre ses griffes la couronne de laurier entourant une croix gammée. Issu d’une famille de la vieille noblesse allemande, Christmann von Merckl ne partageait pas les idéaux nazis... Il tenait simplement à défendre sa patrie, sans esprit revanchard ni haine de l’autre, mais avec toute la rectitude que lui imposait la rigueur de son code militaire. L’officier se leva et claqua des talons en inclinant légèrement la tête en guise de salut. Élise regagna aussitôt le couloir où elle prit une grande respiration.

« Drôle de personnage…, se dit-elle en redescendant l’escalier.

–  Quel fichu caractère ! » pensa-t-il au même instant...

Extrait des Doigts d'or d'Elise

Publicité
Commentaires
Les livres de Jérôme Thirolle
Publicité
Les livres de Jérôme Thirolle
Archives
Albums Photos
Pages
Publicité