Hommage aux femmes en temps de guerre
A l’approche du Centenaire de la Grande Guerre, les hommages rendus aux combattants qui s’y sont illustrés ne cessent de se multiplier. En toute légitimité, bien évidemment, mais de manière parfois un peu incomplète. Mon propos concerne plus particulièrement l’engagement des femmes en temps de guerre. Un engagement certes rappelé ici ou là mais souvent cantonné à un triptyque réducteur : soigner, réconforter et pallier les absences dans une nation saignée par les batailles. Le sexe dit faible a fait bien plus que cela, on s’en doute !
A défaut d’examiner dans le détail les rôles que les femmes ont pu y tenir, je ne conserverai qu’un seul exemple dont j’ai déjà fait mention sur ce blog : celui assez discret d’une petite catégorie très particulière de femmes -des américaines- dont l’Histoire n’a hélas que peu conservé le souvenir et dont j’avais fait l’un des personnages de mon roman, Les Doigts d’or d’Elise : les Hello Girls.
Leur histoire, je l’ai déjà dit et écrit, commence avec l’entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés des Alliés en 1917. Là-bas, de nombreuses jeunes femmes répondent spontanément à l’appel au volontariat du Général Pershing qui recrute des téléphonistes intégrées à l’Army Signal Corps, une fonction qui leur vaudra rapidement le surnom de Hello Girls. Surmontant des conditions drastiques (être une femme, avoir plus de 25 ans -les femmes mariées sont acceptées mais leur mari ne doit pas être stationné en Europe-, être bilingue, connaître enfin le fonctionnement des standards téléphoniques) et un entraînement spécifique, 300 femmes environ seront ainsi sélectionnées pour partir vers la France. Elles traverseront l’Atlantique sur des navires bravant d’innombrables dangers et seront placées en quarantaine à Southampton en Angleterre à cause des risques liés à la grippe espagnole qui commençait alors à sévir.
Militaires à part entière, les opératrices en poste géreront dans l’ombre les indispensables communications téléphoniques entre le quartier général et les lignes de front tout en découvrant les terribles conditions de vie des Poilus, que ce soit à St Mihiel ou en Argonne, ainsi que la folle boucherie générale qui n'épargnera pas les "Sammies".
En novembre 1918, alors que l'armistice est signé, elles sont nombreuses à rester en France près d'une année supplémentaire afin de s'occuper, par téléphone, des modalités de retour des soldats aux Etats-Unis. Trois mots les caractérisent : courage, abnégation et sacrifice.
Quand elles retrouveront leur patrie à la fin de l'année 1919, elles apprendront avec stupéfaction que les femmes intégrées dans le Signal Corp operators de l'US Army ne sont finalement pas considérées comme « vétérans ». Cette reconnaissance légitime n'interviendra qu'en 1978 (!), après 50 ans de démarches auprès des autorités de Washington.
Injustement oubliées, ces femmes ayant combattu pour notre liberté méritent (comme tant d’autres) qu'on se souvienne d'elles ! Écartons donc les replis brodés d’or des drapeaux tricolores bardés de citations et le mur des médailles rutilantes au soleil de la paix revenue pour redonner enfin à chacun et à chacune sa part d’honneur obtenue au cœur des hostilités.
La jeune Juliane Morley, dont j’ai fait une Hello Girl dans le roman, n’a jamais existé mais, j’ai voulu qu’à travers son existence fictionnelle l’engagement de toutes ces femmes ne soit pas injustement oublié.
Des promeneurs allemands ont découvert jeudi dernier par hasard en forêt de Fleury-devant-Douaumont (Meuse) quelques ossements à fleur de terre. Ce sont finalement les dépouilles de vingt-six Poilus qui sont ressortis de l’oubli quatre-vingt-dix-sept ans après leur trépas ! L’émotion provoquée par cette découverte historique nous montre que si le temps passe, le souvenir reste vivace et que l’attachement au passé, débarrassé de toute nostalgie inutile, nous aide à mieux comprendre le vivre-ensemble d’aujourd’hui.
Qu’il en aille de même pour les Hello Girls ! Elles le méritent amplement. Nul besoin en ce qui les concerne de pelleteuses ou d’excavations dans le sol boueux des anciens champs de batailles : les archives existent et leur mémoire n’a pas encore disparu, du moins de l’autre côté de l’océan Atlantique.
Il est temps de rendre aux femmes des temps de guerre l’hommage qu’elles sont en droit d’attendre !
On ne sait jamais, peut-être se souviendra-t-on d’elles lors des cérémonies du Centenaire… Je le souhaite de tout cœur…