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Les livres de Jérôme Thirolle
19 juillet 2013

Réhabilitons la Dame de fer !

Tour Eiffel PhotoJT (1)

On dira ce qu’on voudra mais cette formidable silhouette d’acier élancée vers le ciel demeure d’une élégance folle. Parangon d’un kitch hors d’âge ? Gigantesque tas de ferraille barbouillé de peinture devenu l’emblème international d’une France qui n’a rien à voir avec la France ? Je ne le crois pas…

Que vous l’aperceviez de loin ou que vous trouviez sous le déploiement immense de ses assises chantournées, elle impressionne et rassure tout à la fois. Lever les yeux quand on est en dessous, c’est comme regarder sous les jupes du pays ! Il me vient même à l’idée que Gustave Eiffel a patiemment tissé sa Tour sous le ciel de la Capitale comme une dentelle redoutablement ajourée sur la chair aérienne de la Ville Lumière.

Tour Eiffel PhotoJT (4)

Ses arches forment un pont entre le passé et l’avenir, entre les gloires d’hier et les espoirs de demain. Elle est à la fois envers et endroit, mirage et certitude, empreinte architecturale et pyramide évidée dressée  vers les cieux. Il n’est qu’à voir les longues files de visiteurs serpentant à ses pieds en quête d’un triple viatique salvateur des âmes : accéder aux étages, se glisser dans les entrailles de poutrelles métalliques rivetées du respectable monument et admirer Paris depuis ses terrasses en gradins. Des processions  touristiques qui sont à elles seules une mosaïque vivante de la Terre toute entière : Indiennes en saris, Russes en goguettes, émissaires ébahis de pays inconnus, voyageurs déçus par l’accueil qui leur a été réservé, ou jeunes mariés en tenue accompagnés de leurs témoins désireux d’immortaliser le plus beau jour de leur vie depuis l’étage surpeuplé d’un édifice parmi les plus célèbres au monde… Il suffit de s’y rendre pour avoir une idée de ce que le cosmopolitisme veut dire.

Mais qui est-elle donc ? De quoi la Tour Eiffel est-elle le nom ? pour reprendre un tic hype et choc en vogue dans les média malades de « branchitude ».

Du haut de ses arêtes vertigineuses, elle est dague, étendard, vanité des vanités. Elle me fait penser à ce que disent les Ecritures : « les colonnes du Ciel ont leurs pieds dans l’Abîme »… Elles est la fille de joie de toutes les époques, digne et solitaire, frivole et primesautière ; elle a connu -et connaitra encore- toutes les déclinaisons commerciales, artistiques, publicitaires ou idéologiques que l’inventivité des Hommes lui infligera. Elle est la déclaration d’amour d’un pays à son propre reflet, elle est ode et vestige, symbole et coming out, arrogance et humilité face au temps qui passe…

Tour Eiffel PhotoJT (5)

Difficile d’imaginer avec nos yeux rentabilistes du XXIème siècle qu’un tel défi technique et architectural ait pu être conçu comme entièrement éphémère ! La Tour Eiffel, jetable avant l’heure ! Et pourtant…

A l’origine, le monument n’avait pas vocation à perdurer dans le champ de vision des Parisiens. Répondant à un concours lancé en mai 1886 dont l’objet était « d’étudier la possibilité d’élever sur le Champ-de-Mars une tour en fer à base carrée de 125 mètres de côté à la base et de 300 mètres de hauteur », le projet de l’architecte Stephen Sauvestre, des ingénieurs Maurice Koechlin et Emile Nouguier et de l’entrepreneur Gustave Eiffel a été retenu. Dès les premières esquisses rendues publiques, les critiques se déchainent et se rallient à la cause des « anti » des noms aussi prestigieux que ceux de Maupassant, François Coppée, Paul Verlaine, Gounod,  Léon Bloy ou Leconte de Lisle. Le « suppositoire criblé de trous » de Joris-Karl Huysmans traduit combien l’incompréhension face à cette modernité est forte, en particulier dans les élites. L’ « odieuse colonne de tôle boulonnée », comme on le lit dans les diatribes de l’époque, va en voir de toutes les couleurs.  Mais malgré les protestations et les attaques en tous genres, le projet va bon train : les premiers travaux démarrent le 28 janvier 1887, la jonction des poutres de la base est effective en décembre, le premier étage est terminé le 1er avril 1888, le deuxième le 14 août de la même année et l’ensemble est achevé, véritable tour de force, le 31 mars 1889. Juste à temps pour devenir le clou de l’Exposition Universelle de 1889 !

Tour Eiffel PhotoJT (2)

Comme pour toute grande Exposition Internationale, la ville qui l’organise (voir mes articles sur l’Exposition Internationale de l’Est de la France à Nancy en 1909 et mon roman, Le Boiteux du parc Sainte-Marie) s’enorgueillit de réalisations extravagantes qui, en marquant les esprits, montrent avant tout le savoir-faire inégalé d’une contrée ou d’une nation et sa capacité à maîtriser les avancées techniques du moment et donc, par-delà, celles de l’Avenir.

Contre toute attente, la grâce de sa modernité inattendue va rapidement balayer les hésitations et faire de cette formidable structure surplombant Chaillot, Grenelle, le Champ-de-Mars et le centre historique de Paris LE symbole du Progrès triomphant.

Avec elle, tout est démesure : les 2 500 000 rivets et les milliers de tonnes de fer puddlé qui enchevêtrent dans un élan aussi artistique que technique sur 312 mètres de hauteur (à l’origine, 324 mètres aujourd’hui avec les différentes antennes qui la coiffent) poutres, entretoises, cornières, arbalétriers et contreventements sortis tout droit des ateliers de Pompey (voir la Porte Monumentale de l’Exposition de 1909 à Nancy) résonnent encore de la furie cyclopéenne des ouvriers qui lui donnèrent forme dans un fracas assourdissant d’étincelles, de sueur et d’ambitions inégalées.

Il n’y a pas à dire, elle est belle de cette beauté propre aux utopies…

Avant de la quitter, je lui jette un dernier coup d’œil. La galerie qui ceint le premier étage étale fièrement sous mon regard les noms de ces scientifiques connus ou oubliés depuis qui ont fait les beaux jours du Progrès entre 1789 et 1889, rappelant au passage qu’au-delà de l’Exposition de Paris, c’est également le Centenaire de la Révolution Française qu’elle célèbre fastueusement à sa manière.

Tour Eiffel PhotoJT(6)

Je la regarde encore avant de m’en retourner sur mes terres : ses 10 000 tonnes paraissent si légères…

 

Allez, rejetons sans hésiter le snobisme faussement détaché de ceux qui la méprisent et réhabilitons dans l’esprit des Français la Dame de fer !

Tour Eiffel PhotoJT

 

 

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