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Les livres de Jérôme Thirolle
1 février 2014

Délicieuses bergamotes…

 

Bergamotes PhotoJT

Par ce temps froid et pluvieux de fin janvier, comment faire pour « laisser entrer le soleil » -souvenirs chantés des années 70- dans la grisaille ambiante ? Ne cherchez pas, j’ai la solution : se procurer au plus vite une …bergamote !

Une quoi ? (les Lorrains s’étonnent de la question, les Nancéiens s’en offusquent…).

Une bergamote ! Vous savez, cette petite friandise que vous sortez précautionneusement de son emballage plastique transparent dans un froissement caractéristique et que vous portez lentement à la bouche, avec autant de respect et de reconnaissance que vous le faites avec une hostie lors de l’eucharistie…

Ce carré d’or ambré plus ou moins translucide, petite merveille à la fois doucereuse et acidulée qui éveille (réveille en vous, petite Madeleine de Proust à la dureté fondante) mille et une sensations, mille et un souvenirs enfouis dans les méandres sophistiqués de l’esprit, dans les replis parfois douloureux du cœur…

Grâce au goût inimitable et indescriptible de cette friandise opalescente, je revois les pavés savamment alignés de la nouvelle Place Stanislas, les flèches ébarbées de Saint-Epvre qui tutoient les nuages de la Vieille-Ville, la rondeur biscornue de la Tour de la Commanderie, les volutes chantournés dans le bois ou la pierre marqués du sceau indélébile de l’Art nouveau, la majesté dépouillée de la Place d’Alliance, l’ombre inquiétante du Palais Ducal, la pétillance racée d’un champagne dégusté dans un cristal de Daum ou la pâleur bleutée d’un petit matin le long du canal…

Une bergamote, c’est une déferlante de perceptions imbriquées qui, à l’image du Cheval de Troie, s’introduisent sans prévenir dans votre palais pour y libérer soudainement la complexité des saveurs d’un autre âge.

Cinq petits grammes de sucre dont les reflets solaires rappellent l’or étincelant des grilles forgées par Jean Lamour pour l’ancien Roi de Pologne, cinq petits grammes d’un bonbon parfumé à l’essence de citrus bergamia qui vous propulsent aussitôt dans un labyrinthe de sensations dont vous ne sortirez pas indemnes ! Vous êtes prévenus…

 Mais d’où vient la bergamote de Nancy ?

 Pour tout dire, l’étymologie même du mot -ainsi que, parfois, son orthographe- sont doublement incertaines. Pierre Larousse, dans son Grand Dictionnaire du XIXème siècle, présente la bergamote à la fois avec un ou deux « t » et révèle que son origine proviendrait soit du nom de la ville de Bergame, soit -plus exotique- du turc berg armuth, qui signifierait littéralement  « poire du Seigneur »… Rien de moins !

Quoi qu’il en soit, l’écorce du fruit dont est tirée cette substance odoriférante longtemps utilisée en médecine, en parfumerie et en confiserie n’est autre qu’un agrume issu du croisement d’un citronnier avec un oranger sauvage, le peu connu bergamotier, surtout cultivé en Calabre, à l’extrême sud-ouest de la péninsule italienne, juste au dessus de cette Sicile dont les deux René de Lorraine -René Ier d’Anjou et René II- portaient la couronne.

Les origines de cet emblème sucré, pour être lointaines (deux siècles environ), n’en sont pas moins connues : après de vraisemblables tâtonnements culinaires, le gourmand Stanislas aurait jeté son dévolu sur une sorte de sucre d’orge parfumé à la bergamote (la légende en ce domaine ne l’aurait-elle pas emporté sur la réalité historique ?...) mais le « La » est donné plus tard en 1850 par un confiseur installé rue du Pont-Mouja à Nancy, Jean-Frédéric Godefroy Lillich (naturalisé vingt-trois ans plus tard sous le nom de Lillig) qui a eu, on ne sait trop comment, l’idée de mélanger de l’essence de bergamote à un sucre cuit en forme de petit carré…

Toujours est-il que le succès est rapide ; succès qui ne se démentira plus par la suite puisque cette confiserie couleur d’un soleil qui manque parfois à notre ciel de Lorraine est devenue à côté du chardon et de sa célèbre maxime Qui s’y frotte s’y pique l’emblème gustatif de la ville de Nancy.

Au-delà de l’enviable label IGP () dont elle bénéficie depuis plusieurs années maintenant, la bergamote est un peu la terre de notre patrie qu’on emporte sous nos souliers…

Nos grands ancêtres de l’Exposition Internationale de l’Est de la France en 1909 (voir les autres développements sur le blog) ne s’y étaient pas trompés puisqu’on lit à la page 392 du Rapport général sur l’Exposition Internationale de Nancy les lignes suivantes :

« Un certain nombre d’articles ont, depuis de longues années, porté au loin la réputation des pâtisseries et des confiseurs lorrains ; nous les voyons en bonne place : … Lalonde qui, à la fabrication des macarons, ajoute celle des bergamotes ; … ». A noter que la maison Lalonde, toujours présente aujourd’hui sur le créneau des douceurs haut-de-gamme, remporta alors la médaille de vermeil lors du palmarès de l’Exposition.

 La bergamote de Nancy : un goût d’ailleurs enraciné dans nos contrées de l’Est, un miel solaire et acidulé posé sur un camaïeu d’automne, un parfum d’incongruité dans notre séculaire paysage de Lorraine…

 Yves Gry ne dit pas autre chose dans la revue « Nancy, Ages d’or, âges de plomb » (Autrement, septembre 1990) lorsqu’il confesse :

« Je m’étonnais aussi du manque d’odeurs dans les rues. J’étais habitué à sentir à Tunis de multiples parfums, jasmin, chèvrefeuille, fleur d’oranger, henné ; ici, rien de tout cela, l’atmosphère semblait aseptisée, déjà les progrès du monde moderne et civilisé ! Je renouai un peu plus tard avec ces goûts et parfums oubliés en découvrant les bergamotes qui me rappelèrent les citrons doux : une vraie spécialité nancéienne au goût oriental ! »

 La bergamote ne souffre que deux conditionnements : le sachet transparent et, nec plus ultra, la célébrissime boite métallique, la plupart du temps aux armes des joyaux de la Place Stanislas, grille ou fontaines. Lamour ou Guibal à l’honneur…

Depuis des décennies, ces petites boîtes aux décors changeants mais invariablement nancéiens dans l’âme, sont les ambassadrices d’un charme un peu désuet, les porteuses d’une certaine forme de nostalgie à l’image de la boite de bergamote de Nancy qui apparaît dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, le film de Jean-Pierre Jeunet.

 Ah, délicieuses bergamotes…

 Je relèverai pour terminer que la Ville aux Portes d’Or possède depuis 1992 une « Rue de la bergamote » dans le quartier du Haut-du-Lièvre (voir les articles sur le blog) et qu’elle peut s’enorgueillir de compter parmi les associations qui œuvrent pour la sauvegarde d’un délicieux patrimoine à préserver l’auguste Confrérie gourmande du macaron et de la bergamote, présidée par son dynamique Grand-Maître : Patrick de Brousse de Montpeyroux. Je ne peux non plus omettre de citer pour finir la devise de cette belle confrérie : « Rien sans amour ». Tout un programme…

 

Bergamo PhotoJT

 

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