Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les livres de Jérôme Thirolle
9 mars 2014

Rouge Gazon...

Paysage feu PhotoJT

Le soleil l'emporte un peu partout sur la neige en ce moment. J'en profite donc pour publier à nouveau un petit texte, Rouge Gazon...

 

Paysage de neige PhotoJT

Peut-on imaginer vêtement moins séduisant qu’une combinaison de ski ? Non, évidemment ! Et pourtant…

 C’était il y a trois semaines environ. J’avais remporté le premier prix d’un concours organisé par un magazine culinaire de renom (à ne pas confondre avec le  « cunilaire » de certains dyslexiques égrillards) où s’étaient mêlées dans un joyeux désordre questions d’histoire, de littérature japonaise, de géographie anatomique et de logique euclidienne. En un mot, rien à voir avec la cuisine. Allez comprendre…

Mais bon, l’essentiel, c’était de gagner. Et c’est ce que j’ai fait ! Gagner quoi, au fait ? Un menu gastronomique de prestige chez une toque étoilée ? Un voyage pour deux aux Seychelles ? L’intégrale des œuvres du marquis de Sade reliée par Sacher-Masoch ? Non, rien de tout cela. Le cadeau, autrement plus inattendu, était un séjour d’une semaine à Rouge Gazon.

Rouge Gazon ? Rassurez-vous, moi non plus je ne connaissais pas avant d’y aller. Petite station de ski vosgienne dont l’étrange appellation n’évoque pas de prime abord le blanc manteau qui recouvre les pentes granitiques d’un massif érodé par les millénaires et par le vent, Rouge Gazon s’offrait à moi.

 Je me rendis donc sans grande conviction jusqu’à Nancy en train et, après un changement à Epinal dont je vous tairai les charmes dissimulés, je m’engouffrai dans un autocar pour ma destination finale. Une vraie bétaillère surchauffée slalomant difficilement entre rangées de sapins décharnés et conducteurs pressés d’arriver à bon port. Des parisiens, à coup sûr ! Les conducteurs, pas les sapins, évidemment.

On ne devrait jamais partir faire du ski en hiver. Bon, c’est sûr, l’été c’est moins pratique… En tout cas, rien de tel pour réveiller une agoraphobie latente heureusement mise en sommeil par une sociabilité de bon ton.

_ Que suis-je suis allé faire dans cette galère ?... soupirai-je en descendant du bus. Il y avait du monde partout, de la neige fondue brunie par le sel plein la chaussée et comme de bien entendu, personne pour m’accueillir. Et puis quoi encore ? Non content d’avoir remporté le premier prix de ce concours, je n’allais tout de même pas être pris en charge par un groom en uniforme ! J’aperçus alors une grande pancarte qui surplombait le quai de débarquement : « Le Rouge Gazon s’occupe de tout : station de ski munie de canons à neige, snack-bar avec terrasse de 80 places ». Un intense trait de mélancolie me traversa le cœur. Pour un peu, j’en aurais pleuré. Résigné, comme la plupart des autres voyageurs, je me dirigeai cependant sans plus attendre vers mon hôtel. Dieu merci, l’endroit était chaleureux et parfaitement agencé : salon-bar vaste et élégant, réception moderne et lumineuse et même piscine intérieure en sous-sol. Rien de tel qu’un petit plongeon après une journée de ski ! Un rapide coup d’œil aux alentours réfréna cependant mes ardeurs : la clientèle relevait au bas mot de la catégorie qu’on appellera avec pudeur le quatrième âge. Si ce n’est plus… Loin d’être un Casanova en cavale, je dois reconnaître que je m’étais imaginé qu’une rencontre au bar un de ces soirs n’était pas à exclure. Mais à bien y réfléchir, je compris qu’à l’inverse de l’illustre séducteur, je ne serais poursuivi ici ni pour impiété, ni pour libertinage…

 Tout bascula le lendemain. Au petit matin, muni de mes chaussures de scaphandrier et de mes skis de location, je m’élançai sur les pistes. Les nombreuses heures passées à dévaler les pentes des Alpes durant mes jeunes années me permirent de retrouver en quelques minutes les réflexes de base de tout skieur du dimanche. Un pâle soleil commençait à effleurer doucement la cime du massif, caressant de ses rayons encore endormis une Nature qui ne demandait qu’à s’éveiller. C’est alors que se produisit l’imprévisible. Au sortir d’une piste qualifiée de difficile, je m’apprêtais à prendre place dans la file d’attente d’un télésiège hors d’âge lorsque le skieur devant moi retira d’un coup son bonnet, libérant en une fraction de secondes une cascade de longs cheveux roux resplendissant dans la lumière. Mon skieur était une skieuse…

 Sa tête fit plusieurs petits mouvements saccadés de la gauche vers la droite, comme pour se libérer d’une gorgone flamboyante qu’elle ne parvenait plus à contenir sous l’étoffe bariolée de son couvre-chef. Le contraste entre les reflets cuivrés de sa chevelure divine et la blancheur immaculée de sa combinaison de ski était stupéfiant. Je me mis à détailler du regard le spectacle malicieux qui me faisait face. Mes yeux descendirent sans hésitation le long des coutures apparentes de ce vêtement molletonné qui dérobait au monde un univers de courbes et de rondeurs que j’imaginais sensuel et ravissant. C’est alors qu’une idée saugrenue me vint à l’esprit : elle ne portait peut-être rien ou presque sous sa combinaison à cause -ou sous prétexte- d’un temps plutôt doux pour la saison. Elle avança d’une longueur de bâton. Je la suivais, hypnotisé. La contemplation de l’animalité de son corps dénudé ne m’était cependant pas autorisée en raison de ce vêtement difforme qui se détachait à peine sur la neige. Mais plus j’y pensais et plus je devinais -ou croyais deviner- les mouvements souples d’une hanche, le pli d’un genou, le galbe irrésistiblement velouté d’une cuisse, la rondeur lourde d’un sein, la touffeur moite de sillons secrets. Elle ne portait peut-être qu’un slip tout simple sous sa combinaison, culotte ou boxer (un string m’eut paru plus vulgaire sur un corps aussi désirable que celui-là) et un soutien-gorge très fin, encore qu’elle n’en eut certainement pas besoin.

 J’épiais chaque mouvement, chaque oscillation de ses bras et de ses jambes, ne cessant d’imaginer sa plastique nue et désirable sous ce faux tue-l’amour vestimentaire qui, en me dissimulant tout de cette jeune femme inconnue, n’en rendait finalement que plus visibles les trésors dont la Nature l’avait pourvue. Et dire qu’ils m’étaient inaccessibles à cause d’à peine un centimètre et demi de coton ou de duvet ! Pas le sien, pas celui qui dévalait sa nuque, pas celui imperceptible qui surplombait certainement sa lèvre supérieure ni celui, plus exubérant peut-être, qui recouvrait la commissure ourlée de ses lèvres d’en bas. Non, celui plus manufacturier qui rembourrait cette fichue combinaison ! Ô torture des sens, ô supplice inhumain ! Tantale ne souffrît pas davantage. Je ne parvenais pas à m’en remettre. La beauté érotique de cette fille rousse me défonçait le cœur ! Pour le reste, je n’en parle pas, je vous laisse imaginer.

 J’essayais de m’approcher d’elle pour capter un parfum, une odeur… J’aurais voulu plonger mon visage dans sa crinière de feu, humer sans retenue cette folle animalité qu’elle ne souhaitait plus cacher, la respirer jusqu’à chercher au plus profond d’elle cette parcelle d’infini qu’elle arborait sur tout son corps comme on brandit un étendard dans le tumulte d’un combat ! Je la sentais nue, à quelques centimètres de moi, je la sentais nue à en perdre la raison… Je l’imaginais tour à tour cavalière en livrée écarlate de chasse à courre, bottes de cuir vernies et cravache à la main, danseuse de flamenco dans le fourreau ajouré d’une robe débordante de volants roses et noirs chers à Baudelaire ou commissaire-priseur en tenue d’Eve, adjugeant avec sensualité à de lascives hétaïres ses anciens amants à coups de marteau d’ivoire. Je décidai de la suivre partout où elle irait, y compris dans les reflets des miroirs et dans les yeux concupiscents des autres hommes. Elle était femme et je n’étais rien, je l’imaginais fichée sur le phare d’un matelot ivre du roulis de ses seins ; je la rêvais paupière entrouverte, marécage et clapotis, exhalant des spasmes furieux sous les assauts répétés de mes désirs inassouvis ; je la pensais peau trempée de sueur, épiderme épuisé parsemé de taches de rousseurs comme autant d’étoiles dans un ciel de fin d’été. Et nue, presque nue sous sa combinaison couleur de neige…

 J’entendis soudain des cris venus par l’arrière. Sans avoir eu le temps de me retourner, je fus avec trois ou quatre de mes suiveurs percuté par un skieur maladroit qui n’avait pas su s’arrêter. Il y avait eu plus de peur que de mal. Je me relevai aussitôt sur mes coudes pour ne rien perdre de mon inconnue : trop tard, elle avait disparu…

 Las, désespérément abandonné sur cette piste de Rouge Gazon, le bien nommé je suppose pour ce qui la concerne, il ne me restait que le souvenir douloureux de ses cheveux roux et celui de sa combinaison blanche. Ah, cette combinaison de ski…

 

 

Publicité
Commentaires
Les livres de Jérôme Thirolle
Publicité
Les livres de Jérôme Thirolle
Archives
Albums Photos
Pages
Publicité