Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les livres de Jérôme Thirolle
13 mars 2016

"Merde, merde et remerde" !...

 

Craffe PhotoJT

Le boiteux du parc Sainte-Marie (Editions Gérard Louis) : suite...

24 octobre 2008

Le lendemain, François Larosière se rendit à la bibliothèque à l’heure dite pour y retrouver Yvon Ploumanac’h.

— Tiens, te voilà ! Toujours à l’heure à ce que je vois ! s’écria le bibliothécaire.

— Bonjour Yvon.

— Oh, toi tu fais la tête des mauvais jours ! Un problème ?

— Non, c’est juste que j’ai mal dormi.

— Eh bien moi je vais te réveiller avec le peu que j’ai pu trouver au sujet du sieur Boulier, bijoutier-joaillier de son état. Sacrée histoire quand on y pense ! Viens, on va s’installer dans un endroit plus tranquille. Il le conduisit au premier étage dans une petite salle de réunion où il avait déjà disposé sur la table des copies d’articles.

— Installe-toi. Tu veux un café ?

— Ne te dérange pas pour moi.

— Si je te le propose, c’est que cela ne me pose pas de problème. Allez, café ! Un sucre ?

— Oui, merci Yvon. Et merci aussi pour tes recherches.

— Ne me félicite pas trop tôt, je n’ai pas fait de miracle. Je te laisse regarder les documents car je dois retourner en bas. Tu verras, ils sont tous photocopiés dans l’ordre. Mais bon, dans l’ensemble il n’y a pas eu grand-chose. Je te laisse travailler. Si tu as besoin de moi, tu n’as qu’à faire le 23, dit-il en désignant du doigt un téléphone dans un coin de la pièce.

François sortit de sa sacoche de cuir un stylo et quelques feuilles de papier puis entama la lecture des articles.

L’Est Républicain. 30 avril 1909

Meurtre d’un bijoutier en plein centre-ville !

C’est avec consternation que nous venons d’apprendre l’épouvantable assassinat le 29 avril de Monsieur Hector Boulier, joaillier bien connu, dans sa bijouterie de la rue de la Pépinière. D’après les premières constatations de la police, il aurait été victime d’un ou de deux agresseurs qui l’ont sauvagement poignardé. Il laisse dans la peine son épouse et sa petite fille de douze ans.

L’enquête en cours devrait rapidement nous éclairer sur le mobile et les circonstances du meurtre.

 

L’Est républicain. 1er mai 1909

“La “Larme du Ciel” dérobée en plein jour !

La vérité vient seulement d’éclater ! Alors que l’Exposition Internationale de l’Est de la France ouvre ses portes au Parc Sainte-Marie, un scandale vient déjà de ternir de tristes augures cette manifestation qui défraye la chronique depuis plus d’un an : la Larme du Ciel, célèbre diamant bleu de cent vingt-neuf carats généreusement prêté par Monsieur Irving W. Morley, a été volée en plein Nancy il y a deux jours. Elle était en possession de feu Hector Boulier qui a laissé la vie dans le cambriolage dont il a été victime. L’ambassadeur des Etats-Unis aurait saisi le Ministère pour obtenir des explications sur ce drame qui entache les relations franco-américaines et qui donne de notre ville une image déplorable à l’heure même où l’on y attend des milliers de visiteurs pour l’Exposition. Louis Laffitte a tenu à faire savoir qu’un accord - dont il n’a rien voulu révéler - avait été conclu avec Irving W. Morley pour ne pas envenimer davantage les liens entre nos deux pays. Il a également précisé qu’il avait accepté une proposition de la Ghilde des Orfèvres Lorrains afin de remplacer sur le stand de l’Exposition, tenu désormais par Ferdinand Jasmain, le diamant manquant par d’autres pierres précieuses remarquables. De sources policières, l’enquête progresserait rapidement.

 

Le Lorrain Illustré. 02 mai 1909

Le retour de la malédiction !

Qui aurait pu croire que le mauvais sort qui s’attache sur la Larme du Ciel se soit évanoui avec le Temps ? En tout cas, pas Hector Boulier qui en a fait les frais à ses dépens ! Deux coups de couteau portés à l’estomac ont eu raison de lui.

Un bien funeste cadeau que lui avait fait Irving Morley, riche propriétaire de Marshall Field à Chicago. La mort de madame Morley dans l’incendie d’un théâtre il y a quelques années ne lui avait apparemment pas suffi ! Cette pierre est maudite, qu’on se le dise ! Malheur désormais aux voleurs qui l’ont dérobée. Ils n’ont pas à craindre l’échafaud : le diamant s’en chargera tout seul.

 

L’Est républicain. 04 mai 1909

Toujours pas d’avancée dans l’affaire du diamant volé. Les enquêteurs mènent pour l’instant sans succès d’intenses recherches auprès des receleurs de la région. Les obsèques d’Hector Boulier se sont déroulées dans une ambiance de recueillement intense. Une foule nombreuse s’est pressée dans les allées du cimetière de Préville pour l’occasion.

 

L’Est républicain. 19 juin 1909

Le succès de l’Exposition a fait oublier les tristes événements qui en ont endeuillé l’ouverture. Les assassins d’Hector Boulier n’ont toujours pas été identifiés et des sources proches de l’enquête laisseraient même entendre qu’aucune piste sérieuse n’a été découverte.

En parallèle à cette pénible affaire, le vol du diamant aurait une autre conséquence désastreuse : l’épouse de Monsieur Boulier rencontrerait de graves soucis financiers liés aux conditions d’assurance de cette pierre précieuse.

 

Le Lorrain Illustré. 28 juin 1909

Coup de théâtre dans l’affaire Boulier !

Albert Millesois, le clochard arrêté pour l’assassinat du bijoutier de la rue de la Pépinière et le vol de la Larme du Ciel a été disculpé hier soir par Monsieur le Juge d’instruction chargé du dossier. Le pauvre hère, un temps soupçonné de ces abominables forfaits, était hospitalisé au moment du meurtre ! L’enquête repart à zéro !

 

L’Est républicain. 29 avril 1910

Un an déjà !

Il y a un an disparaissait tragiquement Hector Boulier, bijoutier nancéien. Ni l’assassin ni le diamant dérobé dans ce mortel fric-frac n’ont été retrouvés. Le juge a classé l’affaire mais s’est déclaré disposé à la rouvrir dès que de nouveaux éléments seraient portés à sa connaissance.

 

— Je n’ai rien trouvé d’autre ! s’exclama Yvon Ploumanac’h en rentrant dans la pièce avec un brin de déception dans la voix.

François restait silencieux.

— En tout cas, plus rien après sur cette affaire ! Et je suis allé jusqu’en 1940 !

— Je sais tout le mal que tu t’es donné et je t’en remercie du fond du cœur. Allez, je t’invite au restaurant ce soir.

— La proposition est honnête, j’accepte ! Alors, pour les articles ?

— Intéressants, intéressants… Ils me permettent de voir comment les choses étaient perçues en 1909.

— Je me suis un peu renseigné sur cette Larme du Ciel. Impressionnant, le pedigree !... C’est le moins que l’on puisse dire.

— Oui, je sais… Mais le plus étrange c’est que la disparition de ce diamant n’a finalement pas fait couler beaucoup d’encre.

— C’est peut-être la peur qu’il suscite.

— Peut-être… On se retrouve ce soir ?

— OK, je t’appelle juste avant et on y va ensemble.

François reclassa soigneusement les articles par ordre chronologique puis les glissa dans sa sacoche. Il lui fallait maintenant en tirer un ou deux panneaux pour son Exposition.

Il venait à peine de remonter dans sa voiture quand le vibreur de son portable lui signala un appel.

— Allo ?

— François ? C’est Cécile. Bonjour.

— Tiens, bonjour.

— Tu m’as appelée hier au Musée ? En disant ces mots, elle avait l’impression de ressentir ce qu’éprouve le sportif qui, après une épreuve longue et difficile, brandit haut et fort le trophée tant escompté qu’il vient de remporter.

Quand elle avait découvert le matin même un post-it collé sur l’écran de son ordinateur et qu’elle en avait pris connaissance, elle avait cru faire un infarctus sur place ! Surtout qu’Alexia, sa collègue, avait rajouté dessus au stylo : “Vas-y ma vieille, c’est dans la poche !”. Il l’avait appelée ! Lui ! Elle !... Ne pas se bercer de vaines illusions. Respirer calmement. Prendre la chose avec détachement pour ne pas tout gâcher. Inspirer, expirer, inspirer, expirer…

La matinée lui avait paru interminable. Elle n’avait pas pu le joindre plus tôt car elle assistait à une réunion de travail qui avait pour objet la préparation d’une prochaine participation du musée à une exposition lyonnaise. Elle avait attendu patiemment puis avait rassemblé ses forces pour se jeter à l’eau.

— Oui, je sortais de la bibliothèque et comme j’avais un peu de temps devant moi, j’ai eu envie de t’appeler pour boire un verre. Histoire de discuter un peu.

— Pas de chance, je n’étais pas là, nous avons passé toute la journée dans un petit village près de Cousances-les-Forges.

— Tu as de la famille par là ? demanda François qui s’interrogeait surtout sur le nous qu’elle avait utilisé.

— Pas du tout ! C’était pour un legs ! Une histoire assez incroyable : une vieille grand-mère qui vivait seule et chichement avait entassé autour d’elle une quantité époustouflante de pièces Ecole de Nancy ! Elle n’en avait jamais parlé à personne. Jusqu’à ce que le notaire chargé de sa succession nous apprenne qu’elle avait fait de nous son légataire universel. On y a trouvé des Vallin, des Guth, des Majorelle, des Gallé, des Gauthier-Poinsignon, des Mansuy, des Gaillard, des Gruber, des Guimard, des Dumas et j’en oublie…

— J’ai l’impression d’assister à la séance des remerciements de la cérémonie des Césars quand un acteur obtient la récompense pour un film et qu’il a peur d’oublier certains noms !

— C’est ça, moque-toi de moi ! reprit Cécile en riant. En attendant, on a passé toute la journée à inventorier et à photographier des vitrines, des guéridons, des paravents, des tables gigognes, des bureaux, des tables à thé, deux meubles à musique, trois coiffeuses, un secrétaire à cylindre…

— Et un raton laveur ! François se sentait libéré d’un poids particulièrement oppressant : il n’était plus question d’une quelconque liaison ou d’une escapade en amoureux en pleine semaine.

— On se débrouillera mieux la prochaine fois…, soupira la jeune femme.

— J’aurais dû t’appeler plus tôt !

— Je ne vois qu’une façon de te racheter !

— Laquelle ? esquissa François avec étonnement.

— Invite-moi au restaurant ce soir ! Elle s’était lancée ! Elle avait osé ! On était en plein quart d’heure américain pour reprendre le titre d’un film des années quatre-vingt.

— Tu ne vas pas me croire ! répondit-il avec désespoir. Je suis déjà pris !

— Ah. Pas grave, ce sera pour une prochaine fois, répondit-elle en articulant du mieux qu’elle pouvait pour ne pas lui faire sentir à quel point cette perspective la rendait malheureuse.

— C’est vraiment pas de veine ! Je dois manger avec un ami au resto…

— Que veux-tu, c’est comme ça…

— Tu ne m’en veux pas au moins ?

— Bien sûr que non ! Pourquoi t’en voudrais-je ? Tu manges avec qui tu veux. Bon, je vais te laisser, je suis attendue. Allez, à une prochaine fois.

Elle raccrocha si vite que François n’eut pas le temps d’ajouter, ne fût-ce qu’un mot.

— Quel imbécile je suis ! s’écria-t-il avec rage en donnant une série de coups sur le volant de sa voiture avec le plat de sa main. Merde, merde et remerde !

Ce constat valait tous les discours du monde.

à suivre...

Publicité
Commentaires
Les livres de Jérôme Thirolle
Publicité
Les livres de Jérôme Thirolle
Archives
Albums Photos
Pages
Publicité