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Les livres de Jérôme Thirolle
13 septembre 2016

Le "Transi" dans les textes...

Moulage_PhotoJT

Si le Transi de Ligier Richier n’est pas le seul et unique héros de mon roman, il le traverse cependant de part en part. Il en est le fil conducteur, la trame de fond. Il irrigue de son mystère le fil du récit, il l’anime et lui insuffle "vie" de la première à la dernière page.

Mais n’allez pas imaginer pourtant que je suis le premier à évoquer cette étrange figure de pierre dans un roman, loin de là ! Des plumes prestigieuses lui ont fait l’honneur de l’accueillir avant moi, en particulier au siècle dernier, même si c’est souvent de manière plus allusive.

Morceaux choisis de cette petite anthologie pour mémoire…

 

Louis Des Masures, Epitaphe du cœur de René de Chalon, Prince d’Orange (1557) :

Le cœur d'un Prince ha repos en ce lieu

O viateur, qui d'amour souvereine,

En son vivant, ayma le Signeur Dieu:

Charles Cesar, et Anne de Lorreine,

A Dieu rendit l'ame pure et sereine,

Qui de sa main le fit et composa.

La vie à mort pour Cesar exposa,

Le cœur surpris de mortelle avanture,

En ce lieu propre ou Anne il espousa,

Pour son confort est mis en sepulture.

 

Maurice Barrès, La Colline Inspirée :

Cœur gonflé, angoisse, douleur irradiée jusqu'aux parties les plus mornes et les plus obscures de l'être, prodigieux empoisonnement des amoureux déçus et des ambitieux trahis par le sort! D'un coup de talon, du fond de l'abîme, Léopold veut remonter, retrouver l'air pur, l'espace libre, le vaste ciel, un nouveau destin, sa revanche. Léopold à cette minute, c'est le Mort dressé et sculpté par Ligier Richier pour servir d'affirmation héroïque à ceux qui, plutôt que d'abdiquer l'espérance, nient les lois de la vie. Comme le squelette de Bar-le-Duc qui ne se rend pas, qui rejette son suaire, qui en appelle à Dieu contre la destruction, qui tend vers le ciel son cœur intact et toujours vif, Léopold s'écrie: « Vois mon cœur incorrompu, Seigneur; juge-le, dis s'il mérite de vivre... »

 

Louis Bertrand, de l’Académie française (1886-1941) :

« Pour la consolation de la jeune veuve, le sculpteur a voulu symboliser la puissance d’un amour plus fort que la mort... ce pourri est un gentilhomme élégant et svelte qui reste aimable sous les chairs en lambeaux. Mais c’est surtout un amoureux qui proclame son amour immortel. A vouloir traduire cette chose impossible, l’artiste s’est surpassé. Une trouvaille de génie cette cambrure de reins, cet élan de tout le corps et du bras dressé qui élève le cœur toujours vivant comme un ostensoir d’amour et cette tête aux orbites aveugles qui d’un air enivré contemple au bout du bras triomphalement tendu le misérable morceau de chair où palpite encore une ardeur divine. Cette œuvre de l’humble « imagier » de Saint Mihiel éclate comme un cri de pardon, un cri étrange et inattendu dans la somnolence d’un après-midi lorrain. »

Louis Aragon, Les Cloches de Bâle :

« Ses yeux tombèrent sur une statuette terrible : c’était un être dont les jambes vivaient encore mais dont le corps nu se dépouillait en montant de ses chairs, de ses muscles tombant en lambeaux, pour n’être plus qu’un squelette émergeant du cadavre, et qui tenait dans ses mains décharnées un cœur. Petite fille trop fière pour fréquenter les princesses, ceci est une copie maladroite d’une merveille qui est à Bar, sur la tombe d’un duc de Lorraine. L’âme qui se dégage de la matière. 

_ Je ne fréquente pas non plus les âmes, dit-elle. »

Louis Aragon, Crève-Cœur :

« Je ne suis pas des leurs puisqu’il faut pour en être

S’arracher à sa peau vivante comme à Bar

L’homme de Ligier qui tend vers la fenêtre

Squelette par en haut son pauvre cœur barbare ».

 

Louis Aragon, encore lui !, Blanche ou l’Oubli :

« Et puis, je l’ai déjà dit, Bataille : Ah quand je serai près de la porte de plâtre - Lorsque viendra mon tour, tranquille et de moi-même - je me dévêtirai pour le sommeil suprême... Il avait écrit cela juste vingt ans plus tôt, eh oui, il s’était dévêtu pour prendre son bain, c’est dans la baignoire que la mort est venue, une mort dans sa main qui lui empoigne le cœur, comme à Bar le squelette de Ligier Richier, la mort ou peut-être l’oubli, dont elle n’est qu’un nom de mauvais goût ».

« Penser à cela en août 1940, et à Moux, et le squelette de Ligier Richier comme à Bar... Qu’est-ce que ça me rappelle ? Tendant son cœur d’or, tandis que la chair le quitte, qu’il sort de sa chair comme d’un lit, du désordre d’un lit... le squelette debout sur la tombe de Bataille ».

 

Simone de Beauvoir, Tout compte fait :

« Je me suis promenée dans la ville haute de Bar-le-Duc; dans l'église Saint-Étienne j'ai contemplé un chef-d’œuvre que j'ai honte d'avoir si longtemps ignoré : le Décharné de Ligier Richier. Mi-écorché, mi-squelette, c'est un cadavre que l'esprit anime encore, c'est un homme vivant et déjà momifié. Il se dresse en tendant son cœur vers le ciel. »

 

Et bien sûr… Henry Bataille, La Divine Tragédie :

«  Oh ! je voudrais qu’un jour il ornât ma demeure

Lorsque je dormirai de mon dernier sommeil.

Il répondra de moi ; et si quelque âme pleure,

Il la consolera en montrant le soleil

De cette même main qui tient, dans ses doigts morts,

Un cœur comme un oiseau dont l’aile bat encore ! »

 

Henry Bataille, La Divine Tragédie :

« Comme il aura battu, silencieux, caché,

Tapi en moi, ce cœur qui m'obsède et me blesse,

Que j'ai pris à témoin dans les jours de détresse,

Que j'aurais tant voulu, comme un cep, arracher,

Un de ces soirs, où l'on redoute le matin

Et qu'on est triste à ne pouvoir le dire !... O cœur,

Vieux sachet parfumé, sensible et galantin,

Tout imprégné d'éternité, cœur de douleur,

Confident de génie ou mauvais hôte en somme,

Si semblable en tous points au cœur des autres hommes,

Toi qui fais dire aux plus allègres, soudain: « Qu'ai-je ? »

En levant lourdement la main pour te connaître!...

A cause cependant du triste privilège

Qu'il eut, ce serviteur infidèle à son maître,

De trop sentir, avec sa manière émotive,

De tout aimer, je veux que sur ma tombe on mette

Cette statue ancienne où s'érige un squelette,

Debout, le torse à jour, pantelant de chair vive,

N'ayant pas tout donné encore à la vermine,

Qui, le pied hors du noir cercueil démantelé,

Arrache à pleines mains son cœur de sa poitrine,

Comme si tout d'un coup il s'était rappelé

Que la mort lente allait en commencer l'entame,

Et, d'un geste d'orgueil où repalpite l'âme,

En souvenir de tous ses anciens battements,

Le brandit jusqu'à Dieu comme pour dire: « Prends! »

Dans une main crispée mettez-en l'effigie,

Parce qu'il fut l'orgueil et la lutte hardie,

Docile à la pitié, sensible au moindre charme,

Avec l'éclosion ineffable des larmes,

Parce qu'il fut l'amour surtout, l'amour perdu,

Donné à tout ce ciel qui ne l'a pas rendu !...

Je veux ce compagnon superbe et funéraire

Qui, plein d'une rancœur soudaine, dans la terre

A fait un trou, et, seul, hissé sur ses vieux os,

Tant bien que mal, laissant flotter sa chair en pièces,

Vers le ciel implacable, adoré, se redresse

Et tend, d'un geste droit, son cœur, comme un jet d'eau ! »

 

Henry Bataille, encore, L’enfance éternelle :

« Je voudrais me coucher devant le seuil, hors de la maison et seul, comme si j'étais le chien gardien qui consulte les étoiles, interroge la nuit et la rosée. J'ai bien mérité cette place favorite. Une sorte de fontaine ou de baptistère, à quatre pieds, soulèvera la dépouille du sol afin que, hissé entre les troncs des pins, je puisse voir l'Aric. Dessus je désire qu’on dresse la statue de Ligier Richier -une des plus belles œuvres du génie français- qui exprime toute la spiritualité de la mort, toute la beauté de l'effort humain. Elle est déjà sublime, à la place qu'elle occupe sur le tombeau de René de Chalon à Bar-le-Duc, mais dehors, sous l'azur qu'elle visera plus droit, son allégorie en paraîtra singulièrement accrue. Et je suis certain qu'elle mettra plus directement le ciel en relation avec la tombe. »

 

Sans oublier enfin Richard Rognet qui l'a mis en vers dans Le Transi (1985) et dans Je Suis Cet Homme (1988)...

...ou encore beaucoup plus récemment Philippe Claudel qui l'évoque dans L'arbre du pays Toraja (2016) :

« A cet instant, j'imagine qu'il feuillette un des livres posé sur la table basse, et parmi eux celui que j'ai placé volontairement en évidence, consacré au sculpteur Ligier Richier dont Le Transi de l'église Saint-Etienne de Bar-le-Duc figure un mort présenté debout, partiellement encore revêtu de l'habit du vivant, chair, cheveux, tendons, qui dit bien ce que nous fûmes et ce que nous serons, et dont le corps perdu, recueilli dans la finesse du marbre évidé par l'artiste, témoigne tout à la fois de notre disparition, mais aussi de l'amour de ceux qui nous survivent, et grâce auxquels nous survivons, puisque l'œuvre fut commandée par celle dont l'époux, René de Chalon, prince d'Orange, compagnon d'armes de Charles Quint, venait d'être tué au combat sous les remparts de  Saint-Dizier en 1544 et qui a demandé au sculpteur, cette toute jeune veuve, de représenter l'être aimé et perdu comme il serait après trois années passées tombeau, sous la terre froide de Lorraine. »

 (à noter simplement qu'il ne s'agit pas de "marbre" mais plus humblement d'un calcaire d'une finesse remarquable)

 

Et pour compléter ces illustres prédécesseurs, vous pouvez désormais le retrouver dans :

Le Cœur des écorchés

 

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Chez votre libraire…

 

 

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