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Les livres de Jérôme Thirolle
25 avril 2017

Chapitre 4 Quand le hasard s'invite... (partie 2)

 

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Il était tombé amoureux d’elle à la première seconde. À l’époque, il ne résidait pas en France, du moins pas habituellement. Il n’y revenait que très rarement et toujours pour très peu de temps. Cela faisait en effet plusieurs années qu’il travaillait en Angleterre. Après une grande école d’ingénieurs et un troisième cycle financier à Dauphine, il avait quitté son sol natal pour la City, ce lieu londonien mythique du pouvoir et de l’argent sans limite. Il y avait commencé comme assistant trader, à l’image de la plupart des jeunes diplômés français qui avaient traversé la Manche en même temps que lui. Il passait son temps à répondre au téléphone, à contrôler des positions et à estimer le “profit and loss”. Mais rapidement, son intelligence, sa réactivité et surtout son intuition l’avaient fait remarquer de ses supérieurs qui appréciaient par ailleurs, avec tout le flegme britannique qu’on leur suppose, sa rigueur et son ambition. Il était ainsi devenu en peu de temps un trader à part entière, lorsque ce terme bénéficiait encore du lustre des golden eighties, c’est-à-dire avant la faillite de la Baring’s, avant la catastrophe mondiale de la crise des subprimes et avant la déconfiture financière de la Société Générale et des autres scandales qui avaient entaché cet univers jusque-là intouchable. Avant la “Crise”. Il ne vivait que parmi des analystes, des structureurs et des hedge funders qui manipulaient des milliards sous forme d’actions, de swaps, d’obligations, de taux de change ou de matières premières, virtuelles ou non, comme un clown jongle avec ses balles. À la différence près que les balles du clown lui appartiennent généralement et que ses erreurs n’entraînent que des rires et pas des pleurs.
Après un court passage à son arrivée dans un petit studio presque insalubre de l’East End (quartier de Jack l’Eventreur, de triste mémoire), il s’était installé dans un superbe loft de Bloomsbury à deux pas de la City, préférant ce quartier à celui de Kensington, pourtant réputé comme étant le quartier français, au motif qu’il y avait justement trop de… Français !

London2 PhotoJT


Professionnellement parlant, il comprenait le marché et parvenait à prévoir ses réactions mieux que personne, analysant les informations et anticipant les évolutions avec une chance insolente. Si bien qu’après deux années passées là-bas, Richard se vit proposer de prendre en charge un fonds de gestion d’actifs à Hong-Kong, Singapour, Dubaï ou Riyad, au choix. La seule condition était d’accomplir un stage de plusieurs mois dans une grande banque parisienne, ce qu’il avait accepté immédiatement dans la perspective d’un déroulement de carrière rapide à l’autre bout du monde.
Dès son retour en France, son employeur avait pris rendez- vous avec une agence immobilière haut de gamme pour lui trouver, tous frais payés, un logement spacieux et confortable à proximité de son bureau. C’est ainsi qu’il s’était retrouvé un beau matin au pied de l’immeuble cossu d’une rue de Paris très chic à attendre un agent immobilier qui tardait à venir. Il était sur le point de s’impatienter quand une voix surgit soudain derrière lui.
— Monsieur Louvrier ?
Il se retourna. S’il avait eu une sacoche en main, il l’aurait lâchée. S’il avait été le personnage d’un dessin animé de Tex Avery, sa mâchoire serait tombée brutalement sur le trottoir, sa langue se serait déroulée démesurément jusqu’au sol et ses yeux auraient quitté sans préavis leurs orbites avec d’invraisemblables bruits de klaxon.

Tex Avery


— Monsieur Richard Louvrier ? répéta la voix un peu interrogative.
Il ne répondit pas et se contenta de hocher la tête. Il contemplait béatement cette jeune femme comme Adam dut regarder Eve au premier jour. Bêtement.
— C’est au septième étage, je vous conduis, reprit-elle. Suivez-moi.
S’il avait fallu, il l’aurait suivie jusque dans les dédales des Enfers de toute façon. Plus rien ne comptait désormais à ses yeux en dehors de cette silhouette parfaite, de cette chevelure rousse et de cette peau claire parsemée d’innombrables taches de rousseur. Un vrai ciel d’été piqueté d’étoiles. Une porte vers l’infini. L’avenir de l’Homme. Aragon n’était plus très loin.
Lorsqu’ils se retrouvèrent dans l’ascenseur, il ne chercha qu’à plonger dans son regard, qu’à capter les fragrances délicatement ambrées de son parfum. Elle parlait mais il n’écoutait pas. Il imaginait les mots et les sons sortir de sa bouche et se glisser entre ses dents après avoir survécu à la douceur moite et humide de sa langue. Il avait l’impression de se retrouver dans un film muet, mais en couleur, rousseur fauve de sa perception oblige. Sa seule préoccupation était d’arrêter le Temps, avec un grand “T”, de bloquer de toutes ses forces les aiguilles des horloges du monde entier pour prolonger, ne fût-ce qu’un instant, cette apparition surnaturelle.
Il la suivit quand elle pénétra dans l’appartement. Un quatre pièces vaste et lumineux, entièrement meublé par la Banque.
— Vous verrez, vous vous plairez ici, c’est un produit tout à fait exceptionnel ! dit-elle en jetant un regard amusé à ce trentenaire un peu hébété en costume trois pièces en laine et soie beige clair, chemise à col contrasté assortie et cravate en lin à pois. Sans oublier ses chaussures, reconnaissables entre mille, du moins pour les connaisseurs : des Weston, à 1400 euros la paire. Hébété, mais tellement craquant pour tout dire. Elle ondulait intérieurement de plaisir à la seule idée qu’il la désirait au moins autant qu’elle avait envie de lui. Une telle situation ne lui était jamais arrivée dans sa jeune carrière mais tout lui disait que quelque chose d’inédit allait se produire. Aujourd’hui ou jamais. La question n’était pas de savoir si cela se réaliserait mais plutôt de deviner lequel des deux ferait le premier pas. Son imagination lui jouait-elle des tours ? La fatigue la faisait-elle délirer raisonnablement ? C’était possible après tout mais une petite voix intérieure lui murmurait que ce jour n’était décidément pas un jour comme les autres et que le trouble de ce jeune et sémillant banquier était lourd de promesses et de non-dits.
Dieu merci, elle avait mis ce matin son tailleur cintré et son chemisier porte-bonheur dont le décolleté révélait avec ce qu’il fallait de décence une poitrine faite pour attirer le regard. Elle le savait et en jouait quand cela s’avérait nécessaire, en particulier pour aider à conclure une transaction à fort enjeu. En de très rares occasions cependant. La morale était sauve.
Richard, de son côté, ne savait plus où donner de la tête. Il ne parvenait plus à détacher ses yeux de cette jeune femme. Il se sentait disposé à l’explorer avec la fougue intacte d’un conquistador avide de métaux précieux ; il rêvait déjà de l’examiner avec l’opiniâtreté d’un entomologiste débarquant par hasard au milieu d’un rassemblement spontané d’insectes totalement inconnus. Un coude, une main, la veine du cou, la nuque, une jambe, les hanches, les seins, le sourire, les cheveux, les yeux, tout le rendait fou. Et surtout, cette myriade de taches de rousseur, pluie ambrée d’étoiles filantes sur sa peau veloutée, éphélides mutines et suggestives qui irradiaient ses sens depuis de longues minutes maintenant, le laissant presque désarticulé au beau milieu de cet appartement dont il n’avait rien vu.

Feu photoJT


Et ce parfum… Cette délicate sensation d’animalité farouchement domestiquée qui réveillait en lui les instincts les plus sagement enfouis par des millénaires de retenue civilisatrice.
L’alchimie qui se dégageait de cette rencontre avait enclenché une mécanique qu’aucune force ne parviendrait plus à entraver. Même la toute-puissance de Dieu, si elle s’était manifestée alors, n’en serait peut-être pas venue à bout. Les minutes perdirent de leur régularité, les espaces intérieurs s’ouvraient sur l’infini des possibles. La porte claqua soudainement sous l’effet d’un courant d’air. Victoire cessa de parler et ils se regardèrent droit dans les yeux. Il la saisit alors par le bras, ils s’observèrent une fois encore puis échangèrent finalement, sans dire un mot, un long et vigoureux baiser comme on n’en voit plus qu’au cinéma.

à suivre...

 

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