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Les livres de Jérôme Thirolle
24 décembre 2018

L'ancien Poilu

L'ancien poilu PhotoJT

La Pastorale des santons de mon village : L’ancien Poilu

Il est beau dans son uniforme impeccable l’ancien Poilu du village. Le seul qui ait survécu à la Grande Boucherie. Mais c’est loin déjà tout cela… Loin, loin… pour tout le monde mais pas pour lui ! Il n’en parle jamais, mais il se souvient. Et même s’il finissait par oublier, son corps, lui, s’en souviendrait encore longtemps. Tout son être en est marqué, imprégné, meurtri. Un peu comme ces fossiles qu’on tient en main et qui nous font croire que c’est l’animal antédiluvien qui se love ainsi dans notre paume. Mais ce n’est que son empreinte, le moulage de son enveloppe, rien d’autre. Eh bien lui, c’est tout pareil. Il est là, parmi les siens, mais il est ailleurs. Ou plutôt, il n’est plus. Ce n’est pas l’ancien beau jeune homme qui se tient devant nous, c’est son image. Une image de chair, creuse, éteinte. Il vous regarde avec un sourire un peu pincé mais sans vous voir vraiment. Ce n’est plus un visage, c’est un masque. Avenant, mais un masque tout de même. Comment lui en vouloir cependant quand on sait ce qu’il a enduré ? A l’époque, le quotidien du poilu était sans surprise et sans nuance : vivre – ou plutôt survivre – dans la boue, la vermine, les rats et l’odeur étouffante de la poudre et des cadavres qui pourrissent autour de soi, espérer la relève, accepter les corvées pour fuir l’enfer de la tranchée, oublier les balles qui sifflent aux oreilles et le grondement assourdissant du canon qui répond aux batteries de 75, attendre que l’obus éclate en pensant que, cette fois, c’est le bon, éviter la pluie de shrapnels, courir aux abris de fortune quand c’est possible, guetter à travers la poussière et les fumées le biplan qui bombarde dès le petit matin, rêver à la soupe qui ne vient pas, se raccrocher à l’infime parcelle d’humanité que l’on conserve tant bien que mal au fond de soi, récupérer sur le cadavre du compagnon de ces derniers jours le petit rien qui faisait défaut, se protéger sans espoir des nuages de chlore gazeux, ignorer les tirs des pièces à longue portée, ne plus voir les cadavres qui encombrent la tranchée et dont l’odeur insoutenable empuantit le peu d’air qui reste... Et que dire de la peur qui vide les entrailles au moment de l’attaque, baïonnette au canon, quand on entend le coup de sifflet qui donne l’ordre de franchir le parapet ? Oublier la tranchée et les boyaux d’accès, ne plus penser qu’au parapet, juste là, deux à trois mètres plus loin, ce foutu parapet qui protégeait encore quelques secondes plus tôt des rafales de mitrailleuses et des balles des tireurs embusqués, ce nom de Dieu de parapet au-delà duquel, parmi les mines et les barbelés, la Mort attend patiemment le soldat... C’est tout cela qu’il a vécu, enduré. Alors, depuis, il ne s’en remet pas. La guerre est finie depuis longtemps mais pourtant il est toujours prêt à repartir, paquetage au pied et sacoche en bandoulière. Comme s’il n’attendait qu’une chose, d’y retourner, alors que quand il y était, il n’espérait que revenir… La guerre est une folie. Et lui, son regard est triste, son regard est vide. On a même fini par oublier son nom. Il n’y a que ceux qui sont sur le monument aux morts qui restent. Lui, c’est simplement l’ « ancien Poilu ». Je le disais plus haut, la guerre est une folie…

A suivre…

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