Le bon moine
La Pastorale des santons de mon village : Le bon moine
C’est au bruit de sa crosse battant le pavé qu’on le reconnaît. Pas une crosse d’évêque, bien sûr, mais plutôt un long bâton à l’extrémité recourbée comme ceux des pèlerins qui traversent le pays de lieux en lieux à la recherche d’une spiritualité qui semble leur échapper, au fur et à mesure qu’ils avancent. Comme l’horizon…
Les mauvaises langues diront que c’est aussi à son embonpoint mal sanglé dans sa robe de bure qu’on le reconnaît. Car celui qu’on appelle ici « le bon moine » a le coup de fourchette généreux ! Il fait honneur à toutes les tables, des plus modestes aux plus fastueuses, et ne rechigne jamais à accompagner son repas des libations les plus variées, du moment qu’elles lui sont offertes. Tout don est un don de Dieu, a-t-il coutume de répéter, et jamais une offrande ne se refuse, quand bien même viendrait-elle satisfaire des appétits qu’on pourrait qualifier de « terrestres ». Il est comme ça, « le bon moine ». Frère Edmond, devrait-on dire. Frère Edmond de C*** pour être exact. Mais il ne veut pas faire référence à ses origines familiales ni à la glorieuse Histoire de ses ancêtres, pourtant très implantés dans les environs. Pas par pudeur ou par modestie mais parce qu’il se veut « un homme simple », un simple homme et pas le produit d’un lignage. Il se veut homme de Dieu parcourant chemins et villages pour aller au-devant de ses « frères et sœurs ». Et pour prier. Pour eux et avec eux. Le mauvais temps, la poussière des routes ou les rencontres hasardeuses ne lui font pas peur car son moteur à lui, c’est sa foi. Celle qu’il puise dans l’idée qu’il se fait de Dieu et qu’il aime à découvrir chaque jour parmi ses semblables. N’allez pas croire que le monde n’est fait que de noirceur et d’infamies, au contraire. Il a croisé nombre d’hommes et femmes de bien au cours de ses pérégrinations et finalement assez peu d’âmes perdues. Il peut le certifier !
Les habitants du Village l’apprécient car il ne vient jamais leur donner des leçons ou juger son prochain. Il s’efforce tout simplement de montrer la voie, à chacun de choisir ou pas de l’emprunter. Mais il faut en profiter car son séjour n’est jamais très long, quelques semaines tout au plus, toujours à cheval sur le changement d’année. Il arpente alors sans itinéraire prédéterminé les lieux principaux dits de sociabilité, saluant les uns, encourageant les autres de sa bouille toute ronde. La continuité de sa chevelure épaisse avec son collier de barbe fournie fait ressortir encore mieux ses yeux doux et pénétrants à la fois. Comme chacune des paroles qu’il sème sur son passage. Une sorte de Petit Poucet, le « bon moine ». Une figure de la Pastorale…
A suivre…