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Les livres de Jérôme Thirolle
2 février 2019

Annette

Annette PhotoJT

La Pastorale des santons de mon village : Annette

Personne ne l’a prise au sérieux lorsqu’elle est sortie toute seule pour la première fois dans les rues du Village, son appareil photo autour du cou et un épais carnet sous le bras. Elle, c’est Annette, la plus jeune fille de l’apothicaire.

Un drôle de numéro que cette donzelle ! Curieuse de tout et jamais peur de rien ! Toujours prête à rendre service et à traîner ses grosses chaussures de cuir dans les moindres recoins de la bourgade du moment qu’il s’y passe quelque chose. Monsieur le curé la sermonne souvent mais il l’aime bien, Annette. Un « cœur pur qui aurait fait un bon apôtre » chuchote-t-il à l’occasion, mais pas trop fort car il sait qu’il choquerait ses ouailles. Il faut dire qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche, la petite ! Toujours à bon escient, certes, mais elle n’est pas encore en âge de comprendre que les apparences sociales et les non-dits ont fait taire depuis bien longtemps les vérités les plus évidentes… Et n’allez surtout pas lui dire que c’est un garçon manqué, comme on l’entend parfois ici, elle se planterait alors devant vous et vous assénerait un JE suis une FILLE ! aussi direct qu’un uppercut sous le menton, avec une manière évidente d’ajouter « et j’en suis fière », prête à vous prouver à l’instant ce qu’elle vient d’affirmer… Elle en serait capable, soyez-en certains ! Bon, j’imagine déjà que quelques esprits libidineux aux intentions douteuses ne demanderaient pas mieux, du genre Je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois…, mais même s’il y a sûrement d’irréfutables preuves de ce qu’elle revendique dissimulées sagement sous ses jupes ou derrière l’ étoffe soignée de son chemisier, elle n’en ferait rien car, le temps de le dire, elle serait déjà repartie sur les chemins en quête d’une curiosité nouvelle… Son moteur à elle, c’est cette soif éperdue de connaissances et de découvertes qu’elle n’a de cesse vouloir partager Ne rien conserver pour elle seule mais au contraire donner à voir, à connaître.

Et c’est ainsi, qu’armée de son gros appareil photographique (heureusement que son père a les moyens de lui en offrir un, car peu de villageois peuvent s’enorgueillir de posséder un tel bijou de technologie) et d’un épais carnet à spirales, elle arpente quartiers et ruelles, sans itinéraire particulier, au seul gré des traces laissées dans la poussière par Dame Fortune…

Elle se promène, questionne, prend des notes, interroge les passants ou consigne telle ou telle observation, au gré de ses envies et de ses rencontres. Sans parti pris ni jugement hâtif, juste avec son cœur. Celui d’une jeune fille prête à s’ouvrir au monde et à lui offrir en retour le reflet de ce qu’il donne sans compter. Elle aurait bien voulu créer un petit journal, pas une de ces feuilles de chou indigne du plus saumâtre des ruisseaux ni de cette presse qu’on révère ou qu’on craint tout à la fois, non, juste un petit journal du Village où elle consignerait les nouveautés, les événements joyeux ou les beautés insoupçonnées. Elle lui avait même trouvé un nom : La Gazette des Cigales. Mais son père n’a pas voulu…

Elle en a pleuré. Beaucoup. Non pas que son désir le plus profond eût été contrarié, elle n’était pas assez orgueilleuse pour cela, mais tout simplement parce qu’elle avait bien compris que derrière les explications alambiquées de son cher papa, il y avait une réalité plus prosaïque, plus inaudible pour elle et, pour tout dire, plus blessante encore : elle était une fille et cela ne se faisait pas…

Sans compter qu’à son âge, on ne sait pas encore que toute vérité n’est pas bonne à dire…

_ S’il fallait que la presse dise la vérité, où irait-on ?... soupirait-il en retournant à son comptoir. Et puis ce n’est pas bon pour le commerce…

Elle ne lui en voulait pas mais elle sentait au plus profond de son âme que cette attitude n’était pas digne d’un homme tel que lui, pourtant si ouvert d’esprit dans bien d’autres domaines.  Alors, elle se taisait puis, dès le lendemain, repartait en quête d’un nouveau reportage, souriante et heureuse, débarrassée de ses tristes pensées de la veille.

Le curé du Village n’en dit rien à personne mais il sait, lui, que plus tard Annette sera une grande journaliste.

À suivre...

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