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Les livres de Jérôme Thirolle
8 février 2019

Marius

Marius PhotoJT

La Pastorale des santons de mon Village : Marius

Je sais, quand on est méridional et qu’on bourlingue sur les mers et les océans, s’appeler Marius n’a rien d’original. Ce n’est pas Marcel Pagnol qui me dira le contraire… Mais notre Marius à nous, c’est-à-dire celui du Village, n’a pas César pour père ni Fanny pour petite amie… Ce qui ne l’empêche pas pour autant de porter ce prénom bien de chez nous. Un prénom qui hante nos contrées ensoleillées depuis fort longtemps, peut-être même bien avant la conquête de la Gaule par le grand Jules, du temps précisément où cette partie du territoire, l’air de rien, commençait à se romaniser peu à peu et où les légionnaires ne laissaient sur place pas que les seules empreintes de leurs caligæ dans la poussière des chemins…  Quoi qu’il en soit, et sans qu’il soit nécessaire de remonter à la plus haute Antiquité, le fait est que notre beau jeune homme s’appelle ainsi.

Il est de ces gens qui ont la bougeotte et la curiosité chevillées au corps. Ce n’est pas que rien ne les satisfasse mais ils ne peuvent se contenter de ce qu’ils ont sous les yeux ou à portée de main. L’attrait de l’inconnu ou plutôt de la nouveauté exerce sur eux une force irrésistible que rien ne saurait ni empêcher ni limiter. On peut les comprendre ! Déjà qu’on ne sait pas ce qu’on peut trouver sous une pierre qu’on soulève du sol, alors allez imaginer ce qui peut se cacher par-delà les montagnes ou les océans ! Marius, il est comme ça. Il a besoin de voir du pays, d’aller là où on ne va pas. Pour le moment, du moins. Peut-être qu’un jour il en aura assez de courir par monts et par vaux, de flotter plus exactement en ce qui le concerne car même si sa coquille de bois est faite d’acier et de gros boulons rivetés sous les couleurs du drapeau national, il n’en demeure pas moins qu’il ne joue rien d’autre qu’un étrange numéro d’équilibriste au-dessus d’abîmes liquides vertigineux remplis de poissons bizarres, d’épaves innombrables et de marins partis pour ne plus jamais revenir…  Une drôle de vie que la sienne quand on y réfléchit… Lui, un garçon du village, un petit que les anciens ont vu grandir et qui, du jour au lendemain, plutôt que de se glisser dans le sillon de ses ancêtres, a préféré les contrées inconnues et l’Histoire des autres… Il a bien fait pleurer sa pauvre mère lorsqu’il a annoncé son souhait de s’engager dans la Marine. Elle a même tellement pleuré qu’elle en a fini par mourir. Là aussi, le destin est cruel car c’est de peur de ne plus le revoir … qu’elle ne l’aura pas revu. Elle est morte de ce qu’elle voulait éviter. Amère leçon de vie… Son père, lui aussi, a souffert. Si bien qu’un soir il s’est rendu au cimetière pour arracher le Christ qu’on avait apposé sur la pierre tombale de sa femme et pour mettre à la place une ancre de marine. Histoire de bien faire voir à tout le monde que c’était la mer qui lui avait pris son épouse en plus de son fils. Marius en a été meurtri, oui, il est rentré puis il est reparti. Et il en va ainsi depuis des années et des années maintenant…

Bien sûr, il en a brisé aussi des cœurs par ici. Involontairement, la plupart du temps. Car il est bel homme, l’animal ! Elles sont nombreuses les jeunettes des environs à avoir voulu succomber à ses charmes mais aucune n’est parvenue à le faire rester. Il faut croire que les secrets enfouis au plus profond des peaux noires ou jaunes ont des attraits que n’offrent pas les peaux laiteuses ou mordorées de nos jeunes villageoises… Les mauvaises langues disent que s’il a vu du pays le brave Marius, il n’a pas vu que ça et que sur la base de ses seuls souvenirs on pourrait reconstituer un atlas des anatomies féminines si étoffé qu’on finirait par approcher l’essence même d’une Eve universelle. En attendant, son Eve, il ne l’a pas trouvée. Peut-être ne la cherche-t-il pas, d’ailleurs. Ce n’est pas après un lieu d’amarrage qu’il court, c’est la vie tout court qui le fait avancer. Il a l’air heureux en tout cas… Pas d’entraves, pas de lendemains assurés, juste le bonheur de filer en plein vent sous les étoiles…

Bon, là non plus, il ne faut rien exagérer. Ce n’est pas sur un voilier fin comme l’oiseau qu’il franchit les océans, c’est sur un rafiot métallique de la Marine nationale avec son lot d’éclopés, d’odeur d’huile chaude et de cliquetis infernaux. Sans compter la fumée, cette épouvantable fumée âcre et noire qui sort des cheminées sans répit et qui obscurcit aussi bien l’horizon que les visages des matelots, les tuant peu à peu en attendant le coup de couteau de nuit à la sortie d’une rixe de bar ou encore la noyade un jour où l’alcool a définitivement pris le dessus.

Et je ne parlerai ni des filles qui passent sans attendre d’un marin à un autre tant que le bateau est à quai, répétant mécaniquement les mêmes gestes, poussant les mêmes cris en échange d’une pièce ou d’un billet, ni des maladies ou des démangeaisons purulentes qu’elles ont reçues d’un hôte de passage et qu’elles s’empressent involontairement de léguer un soir sans lune à celui qui suit dans un sanglot étouffé …

Il y a tout cela dans une vie de marin, Marius le sait, mais il n’en changerait pour rien au monde. L’univers étriqué du Village, entre la fontaine, l’église et l’âtre des maisons basses, très peu pour lui. Les mêmes visages, les mêmes vêtements, les mêmes souvenirs, très peu pour lui. On peut le lui reprocher, il n’en a cure…

Il a cette faculté rare à se sentir chez lui partout et partout chez lui, il n’est perdu nulle part ; il a dans les yeux cette ouverture sur le monde que d’autres veulent enfermer dans des toiles accrochées aux murs ou sur des photographies fixées -le terme est parlant !- sous verre. Il n’a de frontières que sa capacité à aller de l’avant et tant que Dieu lui prêtera vie, à l’image des navires qui l’emportent au loin, il ne fera pas machine arrière…

À suivre...

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