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Les livres de Jérôme Thirolle
5 mai 2019

Chapitre 41 À corps perdu

Naufrage PhotoJT

Chapitre 41 À corps perdu

Quand le jour se leva sur les Corbières, Victoire réalisa qu’elle était toujours en vie. Elle s’extirpa avec difficulté des buissons épineux où elle avait trouvé refuge ; blessée, épuisée. Son corps n’était plus qu’une douleur généralisée alternant, selon les membres, ecchymoses, brûlures et plaies couvertes de sang séché. Elle n’avait pas fait plus de quelques pas lorsqu’elle aperçut soudain à un mètre à peine de son pied droit un petit scorpion brun très foncé qui se déplaçait avec rapidité entre les roues de sa bicyclette.

Saisie d’un accès de panique, elle ne prit pas le temps de réfléchir, se pencha, attrapa un énorme caillou couvert de poussière et l’abattit sur l’animal. Sans hésiter.

Dans sa tête, une ronde effrénée lui glaçait les sangs : pinces, venin, queue… Echapper au danger devenait sa raison d’être. Le craquement de la carapace de l’arachnide sous la violence du choc lui provoqua un haut-le-cœur mais sa survie à elle ne souffrait plus aucun atermoiement. Les scorpions résistent au jeun, à la sécheresse, aux radiations même… mais pas à une grosse pierre ! La loi de la nature est sans pitié.

Elle avança avec précaution, scrutant chaque parcelle du sol et relevant incessamment la tête pour balayer l’horizon du regard afin de s’assurer que personne ne venait vers elle. Les paysages démesurément arides et sauvages qui l’entouraient faisaient penser, pour reprendre les termes de Henry Bataille, à des “lendemains d’incendie”.

Seule dans cet océan de pierres, de thym et de vignes désolées sous le soleil, elle comprit que si la nuit avait été terriblement éprouvante, tout serait encore plus dangereux en plein jour ! Au loin, le promontoire rocheux de l’Aric surgissait de la garrigue pour s’élever vers le ciel dans un camaïeu de gris évanescents, irradiés d’une lumière dramatiquement méridionale. Trouverait-elle la force d’aller jusque là-bas au moins pour se mettre à l’abri de ses poursuivants et des rayons du soleil qui commençaient à sortir de leur torpeur matinale ? Des bouquets disséminés de chênes-nains à quelques centaines de mètres feraient office de première étape sur le chemin de cette nouvelle journée de tourments.

Une odeur entêtante de lavande enveloppait la silhouette fragile de Victoire, atténuée cependant par un vent discret mais omniprésent. Elle s’arrêta brusquement. Et s’ils attendaient qu’elle bouge pour la repérer ? Ses geôliers étaient peut-être cachés quelque part aux alentours, allongés comme des snipers avec un fusil à lunette, prêts à l’abattre une fois qu’elle serait bien calée dans le viseur ?

Peut-être allait-elle soudain ressentir la douleur fulgurante d’une balle qui lui traverserait le corps ? À moins qu’elle ne prenne le projectile en pleine tête ? Dans ce cas, elle ne sentirait rien, elle n’en aurait pas le temps… Elle se rendit compte qu’elle commençait à délirer. Elle avait faim, elle était épuisée et le jour naissant, malgré la morsure du soleil, ne parvenait pas encore à la réchauffer. Elle allait se sentir mal quand un éclat aveuglant attira son regard. Presque mécaniquement, elle ramassa l’objet. Il s’agissait d’un petit crucifix doré de trois ou quatre centimètres de hauteur. Elle ferma les yeux, aspira une grande bouffée d’air pur en serrant très fort le pendentif dans sa main. C’était un signe, une marque évidente de réconfort que lui adressait le Seigneur.

Elle sentit alors tout son être animé d’une force nouvelle et décida de quitter les lieux sans attendre.

 

Un peu avant onze heures, Richard déposa comme convenu l’enveloppe dans la poubelle à côté du bureau de Poste. Respectant scrupuleusement les instructions des ravisseurs, il s’éloigna sans se retourner et reprit le chemin de l’hôtel. D’autant plus facilement d’ailleurs qu’il savait que Thomas Lherbier était chargé de surveiller l’endroit à distance…

Aussitôt après son départ, Charles de Cosneil qui déambulait tranquillement dans la rue, passa à hauteur de la poubelle et récupéra la lettre qu’il fit disparaître prestement dans la poche intérieure de sa veste tout en accélérant le pas. Sur le trottoir opposé, Diego eut un rictus de contentement en observant la scène.

— Cette fois, mon gaillard, on te tient !...

Au carrefour suivant, Charles s’engouffra dans sa Chevrolet tandis que Diego rejoignait Jay dans leur Audi.À peine assis, Charles appela son oncle.

— Alors ?

— J’ai l’enveloppe !

— Tu n’as pas été suivi au moins ?

— Non, ne vous inquiétez pas, répondit-il en jetant tout de même un œil vigilant sur les miroirs des deux rétroviseurs, intérieur et extérieur.

— Qu’est-ce qu’il dit ?

— “J’ai la carte, prouvez-moi que Victoire est en vie et je vous la remettrai en échange”.

Un silence glacial accueillit ces quelques mots, silence que Bernard de Cosneil rompit brutalement avec grossièreté.

— Quel con ! Et cette catin qui s’est enfuie avec toutes ses affaires ! Il ne nous reste rien…

— Il parle d’une carte…

— Il faut la retrouver !

— La carte ?

— Mais non, la fille ! Dépêche-toi de revenir, il faut qu’on parte à sa recherche. Dès qu’on la trouve, on la bute et on s’occupe de son mari après !

— Et pour la carte ?

— Avant d’éliminer cet imbécile, Jabbah se chargera de recueillir ses dernières confidences. Bon, le temps passe, je t’attends, ne traîne pas !

Charles, satisfait par cet échange, tourna la clé du moteur. Un peu plus loin dans la rue, Diego parlait au Chef.

— Ne craignez rien, il est là, sous nos yeux. On ne va pas le lâcher d’une semelle ! Apparemment, il téléphone…

— Ne faites pas les imbéciles cette fois et ne vous faites surtout pas voir ! C’est notre dernière chance ! La vôtre aussi, je vous le rappelle…

Les deux hommes accueillirent ce conseil lourd de menaces avec gravité. Alors qu’ils parlaient, la Chevrolet démarra et s’engagea sur la chaussée. Jay, qui avait les yeux rivés sur le véhicule depuis le début, lui emboîta le pas.

— Chef, il s’en va ! On va le pister et on vous tient au courant.

— Suivez-le discrètement ! Et débrouillez-vous pour l’intercepter dès que cela sera possible. Ensuite, récupérez l’enveloppe et tuez-le. Mais faites en sorte de savoir pour qui il travaille avant !

— C’est comme si c’était fait ! conclut Diego.

Les deux véhicules se suivaient à bonne distance à travers les rues de la ville. La situation changea quand ils quittèrent l’agglomération. Difficile de passer inaperçu quand il n’y a quasiment aucune autre voiture ! Surtout avec cette fichue route escarpée qui serpentait à travers la montagne ! Et ce qui devait arriver arriva. Charles, apercevant la silhouette lointaine de l’Audi ralentit progressivement pour se faire doubler. Mais les deux voitures conservaient à peu près le même écart. Il accéléra pour en avoir le cœur net et il n’eut alors plus aucun doute : l’Audi adaptait sa vitesse pour rester à même distance de la Chevrolet. Il était donc suivi ! Il hésita à appeler son oncle pour le prévenir puis y renonça de peur de s’entendre reprocher l’amateurisme dont il venait de faire preuve malgré des mises en garde répétées. Il ne lui restait qu’une seule solution : les semer. Il ne fallait plus perdre de temps.

Il se cala dans son fauteuil, serra le volant et écrasa brutalement l’accélérateur. Dans le vrombissement infernal du moteur, la Chevrolet s’arracha du sol tandis que l’aiguille du compte-tours bascula dans le rouge.

Derrière, l’Audi de Jay et de Diego se lança à sa suite dans une course folle malgré le danger d’un asphalte étroit et sinueux. Les seconds gagnèrent du terrain sur le premier. Les deux berlines étaient si proches l’une de l’autre qu’elles semblaient reliées par un câble, oscillant à droite ou à gauche de la chaussée au gré des virages. À mi-chemin de la montagne, alors que la Chevrolet venait de frôler un parapet de pierres sèches au sortir d’un tournant, un camion chargé de bouteilles de gaz apparut brusquement au milieu de la voie. En voulant l’éviter, le véhicule de Charles fit une embardée, arracha la glissière de sécurité et, sous l’effet d’une vitesse devenue incontrôlable, fut projeté dans le vide, immédiatement suivi par l’Audi qui tenta d’esquiver la trajectoire du poids-lourd.

Dans un paysage de pics, de gorges et de roches escarpées où la végétation locale se love dans des sites aussi brusques que sauvages, les deux voitures, après le silence suspendu de leur saut de l’ange, s’écrasèrent avec violence et fureur dans un univers déjà lunaire, à peine piqueté de thym et de lavande.

 

— Alors ? s’exclama Richard avec impatience en retrouvant Thomas Lherbier un peu avant midi.

— C’est bon, j’ai tout vu ! C’est un type d’une trentaine d’années, assez bel homme du reste, qui a récupéré l’enveloppe.

— Et après ?

— Et après quoi ?

— Comment ça “et après quoi” ? Vous ne l’avez pas arrêté ???

— …

— Ni même poursuivi ?

— Monsieur Louvrier, calmez-vous, je vais vous expliquer. Si je l’avais arrêté sur le champ et qu’il n’ait rien dit, ne pensez-vous pas que votre épouse serait en plus grand danger encore à l’heure qu’il est ? Et s’il m’avait échappé, qu’auraient-ils fait à votre femme ? Réfléchissez-y bien monsieur Louvrier, c’est dans son intérêt et dans le vôtre que je mène mon enquête !

Richard le regardait en silence.

— Nous avons relevé la plaque de son véhicule et il a été photographié. Donc je le répète, ne vous inquiétez pas : la nasse se referme…

— Oui, mais le temps passe aussi…

— Parlez-moi plutôt de cette carte…

— Ah, la carte…

— Je suis désolé d’insister, mais vous n’en aviez jamais évoqué l’existence auparavant…

Richard restait silencieux.

— Je comprends votre prudence et votre réserve, reprit le jeune policier, mais la vie de votre épouse est en jeu…

— C’est à cause de cette carte qu’elle a été enlevée ! fit Richard en s’efforçant d’être le plus convainquant possible. C’est à cause du trésor…

— Vous savez, moi ce que j’en dis de ce trésor… Je n’y ai jamais cru ! Un curé un peu louche, une bonne dose de crédulité populaire et le tour est joué !

— Ma seule préoccupation pour le moment, c’est de savoir comment vous allez vous y prendre pour retrouver Victoire !

— Je vous l’ai dit, ne vous inquiétez pas : quand les ravisseurs auront pris connaissance de votre message, ils vont vouloir vous contacter. Et c’est là qu’on interviendra. Tenez-moi au courant dès qu’ils vous feront signe et on leur tendra un piège.

— Et votre supérieur, il en pense quoi maintenant de cette affaire ?

Thomas Lherbier hésita un peu, chercha ses mots puis laissa entendre qu’avec tous les éléments désormais en sa possession il allait le faire au plus vite.

— Et s’il n’y croit toujours pas, que va-t-il se passer ?

— Je vous le répète monsieur Louvrier, nous allons intervenir. Ça y est ! Ils vont forcément vous fixer un nouveau rendez-vous : dès que c’est fait, vous me le dites. Et à l’heure précise du point de contact, on déclenchera l’opération.

à suivre...

 

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