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Les livres de Jérôme Thirolle
17 août 2019

Chapitre 50 Une échappée prometteuse

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Chapitre 50 Une échappée prometteuse

 

Alors que les rayons du soleil venaient à peine d’effleurer à nouveau de leur caresse dorée les rocs déchiquetés émergeant d’un océan de lavande ou d’une forêt de chênes nains, de thyms et de vignes tordues le long des flancs de l’Aric, Victoire et Richard se tenaient prêts. Tout avait été organisé par les membres du Friendship Laboratory : le lever dès les premières lueurs de l’aube, de nouveaux vêtements et surtout…un moyen de locomotion pour le moins inattendu ! Ils se retrouvèrent en effet nez à nez avec un énorme cheval de trait d’au moins 800 kilos répondant au doux nom de Pâquerette, harnaché à une sorte de roulotte ou de chariot couvert, à mi-chemin entre ceux qu’on voit dans les westerns retraçant la grande épopée de la Conquête de l’Ouest et ceux du feuilleton télévisé La Petite Maison dans la prairie.

— Vous ne croyez tout de même pas qu’on va fuir avec ça ! s’exclama Richard, stupéfait. C’est une plaisanterie ?

— Sache, petit frère, que le cheval n’est pas un moyen de transport, c’est un compagnon de voyage ! Et puis jamais ceux qui vous poursuivent ne pourront penser que vous avez choisi un véhicule aussi lent pour vous échapper ! lui répondit avec aplomb une jeune femme au crâne rasé et tatoué qui faisait apparemment office de palefrenier et de cocher tout à la fois.

Effectivement, les deux époux parvinrent à sortir du campement sans encombre, à la barbe de ceux qui cherchaient pourtant à les intercepter, les hommes de Bernard de Cosneil d’un côté et ceux de Cornélius Douze-Janvier de l’autre…

Pâquerette avançait à son rythme et opposait une indifférence toute animale aux véhicules qui la doublaient, parfois en klaxonnant pour marquer de manière sonore et ostensible le mécontentement d’un conducteur peu habitué à croiser de nos jours ce type d’attelage dont la vitesse n’excédait jamais 5 km/h.

À l’intérieur de la roulotte, assis sur des bancs recouverts d’épais coussins, les époux Louvrier échangeaient des regards qui disaient à eux seuls toute la reconnaissance qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Ils n’étaient certes pas tirés d’affaire mais ils s’étaient retrouvés, convaincus qu’à deux ils seraient plus forts pour affronter la suite d’un cauchemar dont ils ne voyaient pas encore la fin.

— Tu es certaine qu’il s’agissait de la statue de la carte postale ? demanda Richard. Non pas qu’il s’intéressât désormais au trésor le Rennes-le-Château mais le contraire lui avait coûté cher, alors il se forçait…

— La même, je t’assure ! Je venais de dévaler un chemin en pente quand j’ai entendu une voiture approcher. Ni une ni deux, j’ai escaladé un mur grâce à un gros bloc de pierre à son pied et je me suis laissée tomber de l’autre côté. Là, ne sachant où aller, je me suis réfugiée dans la précipitation derrière un monument octogonal. Et c’est en repartant que j’ai eu le choc de ma vie. Là, debout, dressé au centre du piédestal, il y avait le Transi de Ligier Richier !

— Je te crois Victoire, bien entendu, mais qu’est-ce qu’il faisait là ? À moins qu’il n’ait été déplacé depuis la prise de vue de la carte postale, c’est possible aussi… Imagine un peu : la guerre fait rage, celle de 14 ou celle de 40 -n’oublie pas que Bar-le-Duc est en Lorraine, donc à l’est du pays, tout proche de la frontière avec l’Allemagne- et pour éviter qu’elle ne soit endommagée par des bombardements ou par n’importe quelle barbarie du même ordre, elle ait été installée plus au sud…

— C’est sûr que plus au sud, on ne pouvait pas mieux faire !

— Je suis sérieux, tu sais. Je cherche à comprendre, c’est tout.

— Reconnais que c’est troublant quand même !

— Je n’insinue pas le contraire mais rien ne nous dit non plus que cette statue, qu’elle soit identique ou non à celle de la Meuse, ait un quelconque lien avec les mystères de l’abbé Saunière.

— Si j’étais à Paris, je demanderais au concierge…

— Quel concierge ?

— Bah, monsieur Lhéritier, qui veux-tu d’autre ?

— Que vient-il faire là, lui ?

— Il m’a aidé dans mes recherches avant nos vacances, mais on ne doit prendre aucun risque cette fois, pas même celui de l’appeler, on ne sait jamais.

— Elle était où déjà cette statue ?

— À Moux. Il y avait un panneau presque en face de l’enclos où j’avais trouvé refuge. Richard était songeur.

— Tu penses à quoi ?

— J’essaie de comprendre : l’abbé Saunière envoie une lettre étrange à sa sœur, mon arrière arrière-grand-mère en l’occurrence, et y joint une carte avec le Squelette. Tu tombes par hasard sur le même squelette à plusieurs centaines de kilomètres de l’endroit où il est censé se trouver, mais pas très loin de là où habite Bérenger. Alors, soit cette bizarrerie a son importance, soit il a pris la première carte du coin qui lui passait entre les mains et on perd notre temps à essayer de trouver des explications à ce qui ne peut pas intrinsèquement en avoir.

— C’est peut-être toi qui as raison, soupira Victoire.

— On va faire quoi maintenant ?

— Le mieux serait d’aller rechercher nos affaires à l’hôtel, non ?

Richard allait acquiescer quand le chariot stoppa net.

— Ho, ho Pâquerette, là ma belle ! fit la jeune femme qui conduisait l’attelage. Elle se retourna puis tira d’un coup sec le rideau qui la séparait de l’intérieur de la roulotte, faisant sursauter par la même occasion ses occupants qui la dévisagèrent avec inquiétude. Toutes mes excuses, je ne voulais pas vous faire peur mais vous êtes arrivés. Vous pouvez descendre, ne craignez rien. Adieu, et que la bonté continue à vous guider dans l’existence !

À l’extérieur, deux membres du Friendship Laboratory les attendaient à un croisement. Ils tendirent à Victoire età Richard des casques et leur montrèrent une moto qu’ilsmettaient à leur disposition pour la suite de leur cavale.

— Vous êtes extras ! s’exclama Victoire, les larmes aux yeux.

— Ne nous remercie pas, petite sœur. Vous auriez fait la même chose pour nous. Nous haïssons la violence, vous le savez, mais il nous serait encore plus insupportable de vous laisser en danger. Prenez la bécane, nous la récupérerons plus tard ! Avec ça, vous pouvez vous déplacer sans difficulté et en toute discrétion.

Ils s’embrassèrent chaleureusement puis les deux fuyards enfourchèrent la moto et filèrent en direction de Couiza.

En arrivant aux abords de l’hôtel, ils aperçurent un fourgon de la gendarmerie garé presque en face de la porte d’entrée. Sur le trottoir, plusieurs hommes en uniforme étaient en grande discussion avec Sigismond Tournebouix.

En temps normal, cette présence des forces de l’ordre les aurait rassurés mais avec ce qu’ils venaient de vivre au travers de la trahison de Thomas Lherbier, le jeune policier, il était devenu évident qu’ils ne pouvaient plus faire confiance à personne. Et ni les gendarmes, ni l’hôtelier n’échappaient à cette règle de prudence.

— Et nos affaires ? fit Victoire qui se faisait une joie de pouvoir retrouver quelques-uns de ses effets personnels, Lapinos en tête.

— Laisse tomber ! À mon avis, il vaut mieux ficher le camp sans éveiller l’attention.

Ils remirent chacun leur casque sans dire un mot – on aurait dit les Daft Punk ! - et reprirent la route pour Carcassonne. Ou plutôt, les environs du chef-lieu du département de l’Aude. Ils avaient compris en effet qu’ils avaient tout intérêt à ne pas se faire remarquer. Ils attendirent donc la tombée de la nuit puis se rendirent dans un hôtel économique situé en pleine zone mi- industrielle mi- commerciale, entre un vendeur d’accessoires pour voitures et un magasin de vêtements dégriffés, un hôtel où passé dix-neuf ou vingt heures les chambres se réservaient avec la seule carte bancaire. Pas d’hôtelier donc pas de risque d’être identifiés…

Par prudence, ils s’étaient rendus préalablement dans un supermarché tout proche pour acheter des affaires de toilette, du change et de quoi manger pour deux jours.

— Richard, on ne peut pas vivre éternellement ainsi ! fit Victoire en introduisant la clé magnétique dans la serrure de la porte d’entrée de leur nouvelle chambre. Pour le moment, c’est la meilleure solution mais il faudra qu’on en sorte. Vivants. Je les ai côtoyés, ce sont des malades. Il nous faudra peut-être faire appel aux gendarmes à un moment ou à un autre !

— Rien ne presse. Et puis on est en sécurité ici, personne ne peut nous retrouver !

Ce que Richard avait pris pour des mesures de précaution - faire quelques achats et louer une chambre dans un hôtel anonyme de la banlieue de Carcassonne - était en réalité une erreur. Une grosse erreur. Cette dernière résidait moins dans les choix qu’il avait effectués que dans la manière dont il avait réglé ces différentes dépenses : par carte bancaire…

Grâce à la traçabilité de ces modernes fils à la patte que sont les smartphones, portables et autres moyens de règlement électroniques, Bernard de Cosneil, aidé par quelques contacts bien placés, savait exactement ce qu’ils avaient acheté et où ils s’étaient réfugiés. Jusqu’au numéro de la chambre !

Fort de cette supériorité d’autant plus avantageuse qu’elle était ignorée des principaux intéressés, le libraire de Couiza décida de se rendre sur les lieux mais de ne pas intervenir tant que les deux parisiens se croyaient à l’abri. Il les savait désormais à sa merci mais une préoccupation plus grande encore guidait sa retenue : savoir exactement ce qu’ils avaient compris du secret de Rennes-le-Château…

La chambre faisait quelques mètres carrés tout au plus. S’il avait fallu la décrire, le premier qualificatif qui serait venu à l’esprit aurait été de dire qu’elle était essentiellement… fonctionnelle ! Avec tout ce que ce terme pouvait signifier. Victoire, trop épuisée à la fois physiquement et nerveusement, n’accorda aucune importance à cet environnement forcé par les circonstances. Il faut dire que vu par où elle était passée, le moindre réduit équipé a minima prenait des airs de palace. Richard partageait plus difficilement cette indifférence mais ne pouvait que s’en accommoder.

Assis sur le matelas plutôt mou d’un lit à l’angle duquel il s’était cogné violemment le mollet en entrant, il regardait tout autour de lui et cherchait à retrouver la “chambre bien équipée avec climatisation, télévision et connexion WIFI gratuite et illimitée” qui, grâce à “sa situation géographique idéale, proche des grands axes routiers” lui permettrait de “partir à la découverte des environs pour un excellent rapport qualité/prix” vantée par un prospectus publicitaire défraîchi qui trônait sur une tablette de plastique grisâtre le long d’un mur si épais qu’on entendait presque le voisin respirer.

Mais bon, l’important n’était pas là. Ce qui comptait, c’était que Victoire soit près de lui. Cette proximité valait finalement tous les luxes du monde. Quand ils eurent fini d’avaler - le terme convenait à la qualité de ce qu’ils avaient été amenés à ingurgiter – un sandwich pour lui et une salade pour elle, il attrapa une télécommande à la propreté douteuse et commença à zapper sans grande conviction, les yeux rivés en l’air sur un écran plat de petite taille qui avait été scellé au mur pour éviter, on le suppose, un vol tentateur, placé cependant si haut et si loin du lit qu’il s’en sortirait au mieux avec un torticolis, au pire avec un déplacement des cervicales….

Et tout ça pour quoi ? Une énième rediffusion des Sept Mercenaires, un insipide match de foot de ligue 2, un documentairedes années 70 sur la mer de Chine, une piècede boulevard, une émission sur les collections du muséede Rouen, du handball (Dunkerque-Chambéry), une rétrospectivelénifiante sur l’œuvre de Sidney Bechet, desséries policières américaines à n’en plus finir et des ersatzde téléréalité tous plus déplorables les uns que les autres.

Seul le générique d’un épisode des Zinzins de l’Espace lui arracha un sourire de contentement. Il avait toujours eu un faible pour Monster Men d’Iggy Pop…

Pendant ce temps, Victoire prenait sa douche. À un moment, Richard ne put s’empêcher de détourner son regard de la télévision pour admirer un spectacle bien plus fascinant : l’intérieur de la chambre obligeant à une promiscuité imposée, la porte du cabinet de toilette était restée entrouverte pour éviter que l’exiguïté du lieu ne transforme rapidement le réduit sanitaire en un sauna étouffant.

Un entrebâillement qui lui laissa deviner derrière le rideau translucide la silhouette dénudée de sa tendre épouse… Il ne l’avait plus vue de la sorte depuis le matin terrible où ils s’étaient quittés fâchés et cette soudaine apparition lui fit éprouver une insurmontable montée de désir. Il aurait pu se lever d’un bond pour la rejoindre sous la douche, dévorer sa peau dégoulinante voire l’aimer debout à la hussarde, à même le revêtement plastique du mur imitant le carrelage. Mais il n’en fit rien. Par respect pour celle qui n’éprouvait certainement pas le besoin réciproque de faire l’amour dans cette chambre miteuse, surtout dans les circonstances qui les y avaient amenés.

Victoire tourna le robinet puis sortit, une serviette sur les épaules pour ne pas prendre froid, le bas du corps exposé au regard impuissant de son conjoint. La nudité la plus naturelle est souvent plus provocante que les sophistications les plus élaborées.

— Ça va ? lui dit-elle en s’essuyant vigoureusement les cheveux qu’elle avait d’un roux resplendissant sous la lumière crue des spots. Tu as l’air bizarre ?

— Non, juste un peu fatigué…

— Alors, viens te coucher. Coupe ces débilités pour insomniaques… On se lève tôt demain matin !

— Ah bon, on va où ?

— À Moux ? fit-elle d’une petite voix, comme pour se faire pardonner à l’avance.

— On ne sait pas où c’est…

— Tu peux regarder sur ton Iphone ? Viens, on se met au lit, je n’en peux plus.

Ils s’installèrent côte à côte et Richard effleura l’écran de verre de son téléphone pour atteindre l’application adéquate, Mappy ou ViaMichelin. Quelques secondes plus tard, un tas d’informations défilèrent sous ses yeux : Moux, département de l’Aude, arrondissement de Carcassonne, canton de Capendu, communauté de communes du Piémont d’Alaric, 43° 10’ 5’’ Nord, 2° 39’ 08’’ Est. Il visualisa la route à suivre : Carcassonne – Trèbes – Capendu– Moux. En tout, moins d’une demi-heure de trajet en respectant les vitesses.

— Allez, reprit-il, pourquoi s’en priver !

Victoire le regarda en souriant. Elle s’estimait en sécurité auprès de lui, même si les dangers étaient nombreux autour d’eux. Elle ne s’était jamais sentie aussi bien. Harassée par le poids des dernières heures, la jeune femme sombrait dans un demi-sommeil.

De son côté, Richard continuait à pianoter sur son smartphone. Et chaque site qu’il visitait, chaque page qu’il visualisait sur Internet trouvait son pendant, sans qu’il le sache, sur les écrans de surveillance de Bernard de Cosneil.

— Tu éteins ? demanda Victoire, déjà en partie dans les bras de Morphée.

— Oui, une seconde… Comme toujours dans ces cas-là, et pour parer au plus pressé à défaut de rechercher l’exactitude des faits ou des analyses, Richard consulta Wikipédia, la fameuse encyclopédie en ligne pour en savoir un peu plus sur Moux. Il y lut des choses sur les Corbières, sur le vignoble, sur la montagne d’Alaric, son histoire mouvementée et sa géologie, mais le sommet de sa surprise fut atteint quand il découvrit au travers d’un minuscule paragraphe que, sur le chemin dit de Lagrasse, le poète Henry Bataille avait fait ériger un tombeau insolite à la sortie du village.

— Victoire, Victoire ! s’exclama-t-il. J’ai trouvé !

Il désignait fièrement du bout du doigt une photographie où on distinguait nettement par-dessus un socle sculpté la statue si reconnaissable du Transi de Ligier Richier ! J’ai trouvé, ma chérie, j’ai trouvé !

Sans perdre un instant, il chercha à savoir qui était ce mystérieux Henry Bataille dont il lui semblait avoir déjà entendu le nom, mais sans certitude…

L’application Larousse pour Iphone, à défaut d’être complète, était précise : “Henry Bataille, auteur dramatique français (Nîmes 1872 – Rueil Malmaison 1922) peintre des instincts d’une société décadente”. Google lui apporta ensuite un éclairage complémentaire sur ce “poète et homme de théâtre, auteur entre autres de pièces célèbres en son temps mais aujourd’hui oubliées : la Marche Nuptiale, Poliche, La Femme Nue, Maman Colibri ainsi que de recueils remarqués : La Chambre Blanche, La Divine Tragédie”.

Il n’y comprenait plus rien ! Que venait faire le squelette sur sa tombe ? Et quel rapport avait-il avec le curé de Rennes-le-Château ? Plus les indices se faisaient jour et plus le mystère s’épaississait…

— Tu te rends compte, Victoire, c’est dingue cette histoire !

— […]

— Victoire, Victoire ?

La jeune femme s’était endormie. À la voir si belle et si apaisée, il en fut sincèrement attendri et éprouva un intense élan d’amour pour celle qu’il avait failli perdre par sa faute.

— Ne t’inquiète pas, ma chérie, murmura-t-il en lui effleurant les tempes, je vais t’aider à la résoudre cette énigme, tu peux compter sur moi ! Je dois bien cela à mon ancêtre, après tout…

à suivre...

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