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Les livres de Jérôme Thirolle
26 août 2019

Chapitre 53 Faust de bazar !

Faust de bazar PhotoJT

 

Chapitre 53 Faust de bazar !

 

Nator fourrageait convulsivement ses ongles démesurés dans les poils crasseux et enchevêtrés de sa toque quand l’arrivée impromptue d’un véhicule le fit sursauter.

Il venait à peine de se lever et d’attraper sa canne-serpent quand la porte de la pièce où il se trouvait s’ouvrit violement. Oswald apparut dans l’embrasure de l’entrée, tel un spectre menaçant.

Autant il n’avait jamais craint Hilario, Jay ou Diego, les sbires de Maximilien Lamort-Lecrabe, alias le Chef, autant l’homme de main de Cornélius lui inspirait méfiance et terreur sourde.

— Monsieur le Comte veut vous voir. Maintenant ! ajouta-t-il avec une moue expressive, liée à l’écœurement provoqué par l’odeur entêtante des volutes de papier d’Arménie qui s’élevaient un peu partout dans la bibliothèque.

Darwin, le chat du vieil homme, tenta de s’approcher en miaulant de cet exécutant des basses œuvres mais il le projeta du bout du pied à au moins trois mètres de distance. Sans ciller. Nator était mal à l’aise mais il s’efforçait de ne pas le montrer. Il ne devait surtout pas laisser cette brute sans âme s’imaginer que le vieux sage en sarouel le craignait. Il essayait de se convaincre du contraire, se répétant mentalement sans fin que ce germain dégénéré ne valait rien de plus qu’un pet de limace. La peur le gagnait cependant aussi sûrement que la mer reprend ses droits sur le rivage les soirs de grandes marées. Il sentait la nuit s’avancer lentement dans sa vie. Il ne se souvenait pas d’avoir éprouvé une telle appréhension, hormis la fois où il s’était perdu (il avait alors neuf ou dix ans) dans le dédale inextricable des Cruzels de Saint-Martin-le-Vieil, près de Carcassonne.

— Dépêchez-vous ! s’écria Oswald avec autorité.

Le ton de sa voix acheva de convaincre Nator que cet ultimatum n’annonçait rien de bon.

— J’arrive, j’arrive…

— Avance, vieille baderne puante ! fit-il en le bousculant.

Une vingtaine de minutes plus tard, Nator parut enfin devant le comte de Loudenhove. Il imagina un instant se plaindre des mauvais traitements qu’Oswald lui avait réservés pour venir jusque-là mais l’impatience de Cornélius se lisait si ouvertement sur son visage qu’il en fut dissuadé aussitôt.

Debout sur une véritable peau de tigre du Népal, le maître des lieux semblait tout droit sorti d’un invraisemblable capharnaüm qui conférait à la scène une dimension presque tragique. Il y avait là un clavecin italien dont la caisse extérieure et la table d’harmonie étaient entièrement recouvertes de peintures chatoyantes, une lugubre école hollandaise du XVIe siècle au-dessus d’un important coffre gothique en chêne sculpté ainsi que d’innombrables tapisseries de toutes époques. Sans oublier, sous une large niche voûtée, une sainte Catherine polychrome du début de la Renaissance, une étrange divinité précolombienne en roche volcanique et une vanité au crâne surmontée d’un spot lumineux qui la faisait resplendir d’une lueur inquiétante.

— Qu’est-ce que c’est que cette comédie ! hurla-t-il en lui montrant des photographies de la tombe d’Henry Bataille. Il y en a encore beaucoup d’autres dans les environs des squelettes avec une patte en l’air ? La carte postale, la tombe : c’est quoi ce jeu de piste !

Le vieil homme écarquilla les yeux en apercevant les clichés et crut comprendre, un peu tard, ce que les arcanes s’évertuaient à lui révéler chaque fois qu’il leur posait la sempiternelle question : “Forces obscures, racines supervivens du Bien et du Mal, révélez-moi l’emplacement du trésor !”. Une seule carte apparaissait toujours : la Mort. Ou plutôt, le Squelette…

— Alors ! J’attends ! fit-il, aussi furieux qu’agressif.

Nator n’eut pas le temps d’entrouvrir les lèvres pour apporter au Comte la réponse qu’il attendait tant. Terrassé par une crise cardiaque, il s’affaissa sans dire un mot.

— Docteur, docteur ! Vite ! s’écria Cornélius en s’adressant à Christian Busczok qui était dissimulé derrière une tenture, à l’angle de la pièce. Il faut le sauver ! Il doit vivre encore un peu ! Lui aussi a compris où était le trésor, je l’ai lu dans ses yeux !

Le docteur Busczok se précipita vers lui et lui prodigua sans attendre un massage cardiaque censé le ramener à la vie. Après quelques minutes d’efforts acharnés, le médecin releva la tête en direction de Cornélius.

— Il n’y a plus rien à faire…

— Aaaahhhh ! Le Comte poussa un hurlement déchirant et se mit à l’insulter en allemand avec une hargne hors du commun.

Oswald s’approcha, prêt à intervenir au moindre ordre de son maître.

— Vermine ! reprit-il avec véhémence. Vous n’êtes qu’un incapable ! Et dire que je vous ai fait confiance ! Charlatan ! Vous m’aviez promis l’accès aux énigmes de l’Univers, vous deviez m’enseigner la transgression démoniaque mais vous m’avez berné avec votre fatras de sociétés secrètes, de forces maléfiques et de cérémonies grotesques ! Faust de bazar ! Bogdana avait raison ! Vous n’êtes qu’un bigleux répugnant, lâche et imbécile ! Comment n’ai-je pas su vous voir tel que vous étiez vraiment ! Le cher ange ne cessait pourtant de me mettre en garde contre votre ésotérisme de carnaval ! J’ai cru à vos trucages, à vos tartufferies : les mystères d’Eleusis, l’égrégore, les sabbats orgiaques, Asmodée. Imposteur ! Nator est mort par votre faute et le trésor m’échappe définitivement cette fois !

Affolé, le docteur Busczok tenta de s’enfuir. Il parvint à traverser le vaste salon mais la porte à doubles battants qui donnait sur le couloir extérieur était fermée à clé. Il essaya vainement de tirer de toutes ses forces sur la clenche mais elle ne céda pas. Ni le Comte, ni son homme de main n’avaient bougé. Le médecin, conscient qu’il était pris au piège, se laissa alors glisser le long de l’huis, pleurant comme un enfant.

— Oswald ! fit Cornélius.

L’ordre, bien que non énoncé, était clair. Il se dirigea lentement vers la silhouette avachie qui s’efforçait d’échapper illusoirement à la sentence. Christian Busczok le supplia à plusieurs reprises. Oswald le regarda en silence puis lui brisa la nuque.

à suivre...

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