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Les livres de Jérôme Thirolle
12 janvier 2020

La Pastorale des santons de mon village : L’épouvantail

L'épouvantail PhotoJT

La Pastorale des santons de mon village : L’épouvantail

 

Ce n’est ni le Jack de Tim Burton, ni l’épouvantail du Magicien d’Oz. Il est moche et déglingué mais il s’en moque. Il est heureux comme ça. Oh, bien sûr, un épouvantail normalement c’est fait pour effrayer et pour faire fuir mais lui, cela ne l’intéresse pas. Il y a déjà tellement de choses tristes dans l’existence qu’il est inutile d’en rajouter…

Et puis, qu’est-ce que cela veut dire « moche » ? Par rapport à quoi ? Y-a-t-il une norme établie, un canon de ce qu’on appellerait la « beauté » ? Et doit-on forcément être attiré ou repoussé selon qu’on trouve quelque chose ou quelqu’un beau ou pas ? Non, bien sûr…

Bon, pour être tout à fait honnête, ça joue quand même un peu dans l’appréciation première mais aussitôt après, ça n’a plus beaucoup d’importance. Chacun, dans sa vie, en a déjà fait l’expérience. Et lui, il le constate tous les jours. Sa fonction, c’est de faire peur. Mais il n’en a pas envie. Et puis, à quoi bon effaroucher les petits oiseaux ? Pour qu’ils n’aillent pas manger les graines récemment plantées ? Ils iront quelques mètres plus loin. Pour faire reculer les limaces à qui il viendrait soudain l’idée de dévorer les feuilles charnues d’une salade toute verte ? Il est bien trop grand et bien trop haut pour que ces bêtes-là puissent le voir... À quoi bon tous ces efforts, assurément vains par avance ? Terrifier les garnements qui s’aventureraient jusqu’à lui ? Bah, ils n’ont plus peur de rien de nos jours. C’est plutôt lui, l’épouvantail, qui a de sérieuses raisons de les craindre. Et que je te fasse sauter le couvre-chef au lance-pierre, et que je t’arrache ici ou là un bout d’habit quand ce n’est pas pire encore !… Non, la peur n’a pas d’avenir, en tout cas il n’en sera pas son serviteur ici-bas. Il se rêve une autre destinée, un autre quotidien.

Alors oui, le jour où on l’a planté là dans le sol, un peu à l’écart du village, après l’avoir revêtu de haillons, un pantalon bleu rapiécé, une chemise verte délavée par le temps, une ceinture de flanelle noire pleine de trous de mites, le bas des jambes enfoncé dans une vieille citrouille et un chapeau de paille trop grand sur une tête de chiffon sans visage, on lui a dit «  Allez, fais peur maintenant ! »

Mais c’est lui qui a eu peur en fait ! Et dès le début ! L’après-midi du premier jour, ça allait encore mais à la nuit tombée, il s’est retrouvé seul dans le noir, enveloppé petit à petit par un brouillard de ténèbres accompagné seulement par des craquements lugubres et par les cris des corbeaux. Je vous laisse imaginer la scène… Il croyait sa dernière heure arrivée…  Un calvaire qui, évidemment, s’est reproduit invariablement depuis mais auquel il a fini par s’habituer, tant bien que mal. Il sait que le temps de l’obscurité est long et parait sans limite mais il a appris aussi que le soleil finissait toujours par se lever et ça lui a donné sa philosophie de vie.

 Lorsqu’aux premières lueurs du jour la lumière réapparait et embrase l’horizon avec solennité, il sort de sa torpeur et invite tous les oiseaux du ciel à le rejoindre sur ses bras en croix, ouverts, dépliés, accueillants. Ce sont eux d’ailleurs, les moineaux, qui l’ont aidé à se confectionner un visage, un vrai. Pas une de ces faces grimaçantes qu’on voit parfois, non, un beau et grand sourire tout couturé, juste en dessous de deux yeux rieurs et d’un nez facétieux. Une manière de dire : « Venez à moi, n’ayez pas peur ! ». Il est comme ça, l’épouvantail du Village, un peu à contre-emploi. Finalement, quand on y pense, il n’est ni moche ni déglingué. Il est même plutôt solide, résistant à toutes les intempéries, aux saisons qui passent et au Temps des Hommes. Ni déglingué, ni moche. Sa destinée, il l’a trouvée, il se l’est donnée. Et c’est d’elle qu’il tire aujourd’hui sa beauté. Lui, l’épouvantail, le vagabond immobile…

 

À suivre...

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