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Les livres de Jérôme Thirolle
11 juin 2020

La révélation de saint Nicolas !

Saint Nicolas PhotoJT

(Le boiteux du parc Sainte-Marie)

04 décembre 2008

François Larosière était surpris : comment se faisait-il qu’il y ait autant de monde dans les rues un jeudi après-midi ? Les gens ne travaillaient-ils donc pas ? On aurait pu lui objecter qu’il s’y trouvait aussi, mais à bien y réfléchir ils ne devaient pas être nombreux à se charger d’organiser le Centenaire d’une exposition internationale. Sa présence à lui pouvait se comprendre : il allait de rendez-vous en rendez-vous, sans horaires fixes ni entreprise où pointer. Mais eux ? Que faisaient-ils tous là à ce moment précis ? Si encore il ne s’agissait que de retraités, les choses seraient simples et compréhensibles. Mais ce n’était pas le cas ! Celles et ceux qu’il croisait étaient apparemment en âge de travailler.

François comprit alors que quelque chose avait changé dans la société française contemporaine : les caisses de l’Etat ou de la Sécurité sociale étaient vides mais les rues étaient pleines ! Il y avait peut-être d’ailleurs là un lien de cause à effet.

Les chaussées s’agitaient également d’une fébrilité toute particulière en cette fin d’année : Nancy allait fêter deux jours plus tard le Patron des Lorrains : saint Nicolas.

Comme chaque année, les préparatifs avaient mobilisé toutes les énergies disponibles et les festivités à venir se déployaient dans les principales artères de la Cité, prémisses de celles qui annonceraient la période de Noël avec leurs guirlandes électriques, leurs sapins décorés, leurs chocolats et leurs chalets proposant moult denrées périssables ou non qui finiraient inévitablement quelques semaines plus tard au fond d’une armoire ou d’une poubelle.

Une laïcisation totale et absolue du message chrétien, sacrifié sur l’autel de la consommation par une nouvelle forme d’eucharistie universelle : le shopping.

L’évocation même de saint Nicolas faisait sourire François tant sa mémoire était encore marquée par tout le folklore qui accompagnait l’ancien évêque de Myre :

“Ils étaient trois petits enfants

Qui s’en allaient glaner aux champs.

Tant sont allés, tant sont venus

Que sur le soir se sont perdus.

Ils sont allés chez le boucher

Boucher voudrais-tu nous loger ?…”

Tout le monde connaît la suite : l’infâme artisan tripier les découpe derechef en morceaux avant de les mettre dans un saloir que lui désignera du doigt sept ans plus tard le saint homme de passage dans sa demeure. Il les ressuscite, le criminel s’enfuit et le tour est joué.

Il est de retour depuis, chaque année, dans toutes les écoles de Lorraine, distribuant friandises et pains d’épice aux enfants sages, les autres étant confiés aux bons soins de son acolyte de l’ombre : le père Fouettard, sorte de Dark Vador champêtre. Saint Nicolas est à la Lorraine ce que le drapeau bleu-blanc-rouge est à la France : un symbole indépassable derrière lequel tout le monde se range sans maugréer.

François en était conscient et se réjouissait plutôt du spectacle à venir. Aussi bien le défilé impressionnant de chars et de groupes musicaux déchaînant sur son passage des tonnerres d’applaudissements tout au long des trois kilomètres et demi du trajet, que la personnalité même du saint, barbe blanche, mitre et crosse dorée, saluant de sa dextre bénissante une population qui le vénère depuis le XIe siècle.

Le clou du spectacle, car s’en était bien un, était constitué par un prodigieux feu d’artifice associant effets pyrotechniques et légendes imagées de la bonne vieille Lorraine.

Une grande affiche apposée en plusieurs points de la ville s’en faisait l’écho tout en rappelant aux habitués ou aux visiteurs de passage l’itinéraire du cortège :

Départ : Cours Léopold  

Place Carnot

Rue de la Craffe

Grande Rue

Place Saint-Epvre

Rue Lafayette

Rue Saint-Dizier

Rue du Général Drouot

Rue Saint-Nicolas

Rue du Pont Mouja

Rue des Dominicains

Place Stanislas (contournement de la statue par la droite)

Place de la Carrière (terre-plein)

Arrivée : Hémicycle De Gaulle

A l’issue de celui-ci, le Saint patron des Lorrains descendait de son char pour recevoir des mains mêmes du maire de Nancy les clés de la Cité. La boucle était bouclée.

En attendant la foule des grands jours, les rues de la ville ne désemplissaient donc pas.

François réfléchit brièvement puis renonça à prendre le tramway (prononcer tram-vais pour les anciens nancéiens qui avaient connu ce moyen de transport avant qu’il ne disparaisse du paysage urbain dans les années cinquante, pour y revenir finalement à l’aube du XXIe siècle…), moyen de locomotion pratique et sûr qui aurait pu le conduire de la place Maginot à la cathédrale.

La rue Saint-Jean, artère commerciale par excellence, était encore noire de monde vers dix-sept heures et ses trottoirs n’offraient guère de passage malgré leur largeur.

Fatigué par toute cette cohue bruyante et envahissante, François obliqua rue Saint-Dizier en direction d’une librairie bien connue où il avait quelques emplettes à faire.

Contrairement à ce qu’il croyait, cette rue était également difficilement praticable. Bousculé à plusieurs reprises, il s’apprêtait à en gagner - enfin - la porte quand une femme d’âge moyen et de forte corpulence l’obligea à se rapprocher du mur pour éviter la collision.

Il allait émettre une réflexion particulièrement désagréable à son encontre quand ses yeux rencontrèrent par hasard une plaque vissée sur la façade au-dessus d’une vaste boite aux lettres :

“38, rue Saint-Dizier”

Ce fut alors un choc : c’était trop beau pour être vrai ! Comment n’y avait-il pas songé plus tôt ! La vérité était là, depuis toujours, elle lui crevait les yeux !

 

* * *

 

Une excitation irrépressible s’empara de lui : il avait besoin de savoir, il devait en avoir le cœur net !

Le rapprochement entre la plaque : “38 rue Saint-Dizier”, et le souvenir qu’il conservait de l’inscription qu’il avait relevée sur le prospectus des cuisinières était évident, à un chiffre près :

 

39

Son cœur battait la chamade. Il n’osait pas se retourner. Debout, immobile au milieu du flot humain qui irriguait cette rue dans les deux sens, il lui semblait qu’il venait de basculer dans une autre dimension. Toujours cette satanée curiosité qui surgissait quand on l’attendait le moins et qui ne lâchait plus sa proie quand elle avait quitté sa tanière.

La mystérieuse inscription s’était comme “révélée” à ses yeux et, pour lui, le doute n’était plus permis. Il s’agissait d’une adresse ! Là, juste derrière lui…

 

38

 

* * *

 à suivre...

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