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Les livres de Jérôme Thirolle
4 décembre 2011

La Fontaine de Noël

 

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La Fontaine de Noël

 

Editée dans le recueil "Contes de Noël" dans le cadre du concours -Des contes par milliers dans vos petits souliers-organisé par Club-internet et les éditions Publibook du 18 novembre au 02 décembre 2002.

 

 

 

 

 

 

J’ai vu tant et tant de Noëls défiler sous mes yeux fatigués que je ne saurais plus m’en souvenir. De toute façon, j’ai renoncé à les compter depuis bien longtemps…

 

 

 

*   *   *

 

 

 

J’ai toujours eu un faible pour la fin de l’année. Elle vient mettre un terme salutaire à un automne languissant qui n’en finit pas de mourir. Et quelle belle mort que cette mort qui s’oublie dans la fête et les dons. Certes, les choses ont bien changé. A l’origine, les habitudes ancestrales, jamais très éloignées des grandes lois de la nature, gouvernaient le monde. Sans partage ni interrogations. Mais tout cela est si loin désormais.

 

Et puis ma mémoire n’est pas infaillible. Je crois même qu’elle me joue parfois des tours.

 

Depuis les premiers temps, je crois que je n’ai manqué aucun Noël. J’en ai connu de toutes sortes. Des négligés, des oubliés, des fervents et des hérétiques. Certains furent aussi superficiels que d’autres étaient vertigineusement profonds. De toutes sortes, disais-je.

 

La ferveur craintive et respectueuse des hommes n’a vraiment disparu qu’il y a un peu plus d’un siècle. De cela, je m’en souviens encore très bien. Depuis, j’observe chaque année un spectacle de plus en plus théâtralisé, de plus en plus vidé de son essence.

 

Je n’en éprouve cependant aucun regret ni aucune amertume. Je sais pertinemment, fatalement devrais-je dire, qu’il me sera donné d’en connaître encore beaucoup. Bien davantage que ne pourrait le concevoir la mémoire des hommes. Les modes évolueront de nouveau, les mentalités changeront encore. Encore et encore. C’est la loi du monde.

 

 

 

*   *   *

 

Les siècles qui passent ont accumulé sur mon front tant de souvenirs qu’ils encombrent sans retenue ma mémoire. Je me souviens en revanche très bien d’un petit garçon des faubourgs. C’était il y a quatre-vingt ou cents ans. Il est mort très vieux, il y a quelques années je crois.

 

Il s’appelait Victor. Pourquoi me rappeler de lui plutôt que d’un autre ? Je ne saurais répondre à cette question. C’est ainsi, voilà tout !

 

Il vivait avec son père et sa petite sœur dans un des quartiers les plus pauvres de la ville. La mère de Victor était morte à la naissance de Caroline. Depuis ce terrible malheur, leur père avait sombré dans une mélancolie sans borne que seul l’amour de ses enfants empêchait de se transformer en un complet désespoir.

 

La vie n’était pas rose et l’argent ne rentrait guère dans la maison. Tout juste avaient-ils de quoi se nourrir, et encore, pas tous les jours.

 

L’hiver venant, le froid s’était invité avec la faim à la table de la tristesse. Le sentiment d’amour qui les unissait tous les trois les aidait cependant à survivre. Victor parvenait à gagner quelques sous ça et là en louant ses services à des marchands de légumes ambulants ou en allant chercher bûches et brindilles pour le voisinage.

 

Les fêtes approchaient. A un peu plus de quatre ans, Caroline n’avait jamais connu de sapins de Noël chargés de cadeaux, ni de tables immaculées couvertes de friandises de toutes les couleurs. Elle n’en rêvait même pas car, malgré son jeune âge, la pauvreté lui avait enseigné la résignation.

 

Chaque année, Victor s’efforçait de lui façonner de menus jouets à partir de bouts de bois et d’objets divers glanés au gré de ses expéditions sans but. Comme il aurait voulu pouvoir lui offrir de vrais cadeaux ! Ne serait-ce que pour voir luire de nouveau dans les prunelles de son père la faible lueur du bonheur …

 

 

 

*   *   *

 

Le matin du dimanche dix décembre, Victor décida d’emmener sa sœur dans le parc qui se trouvait derrière l’hôtel de ville. Il y avait là, à proximité d’un très vieil arbre, une antique fontaine alimentée par une source souterraine oubliée. L’eau jaillissait de la bouche d’une grosse grenouille de bronze verdâtre. La fontaine ne fonctionnait toutefois qu’une partie de l’année de peur que le froid ne fasse éclater les canalisations.

 

En passant à sa hauteur, le jeune garçon ne put s’empêcher de remarquer un phénomène étrange.

 

_ Tiens, tu as vu ? L’eau coule !

 

_ Oui, et alors ? demanda Caroline

 

_ Et alors ? La fontaine n’est jamais en service durant l’hiver !

 

En s’approchant du parapet recouvert de mousse, les enfants remarquèrent que l’eau, d’ordinaire légèrement trouble, scintillait. Un scintillement étrange, mouvant et ondoyant.

 

Soudain, ne pouvant réprimer un cri de surprise, Victor et Caroline aperçurent … une chose inconcevable !

 

Le scintillement de l’eau avait pris la forme d’un visage ! Le visage d’un homme qui se mit à leur parler…

 

_ N’ayez pas peur les enfants. Je ne vous veux aucun mal. Il y a si longtemps que je suis prisonnier de cette fontaine ! Je ne peux apparaître qu’une seule fois dans l’année : le quatorzième jour précédant Noël. Personne avant vous n’avait remarqué que l’eau coulait en plein mois de décembre. Personne ne s’était étonné de ce prodige …

 

Maintenant que vous savez que j’existe, je ne suis plus seul. Il ne vous reste qu’à me rendre ma liberté …

 

_ Mais, comment ? s’exclama Victor qui peinait à concevoir un tel miracle.

 

_ C’est fort simple : déposez dans la vasque en forme de coquille, juste sous la grenouille, sept marrons, une poignée d’aiguilles de sapin, du houx et de la neige. Mais attention, il faut que vous le fassiez avant ce soir ! Sinon, l’eau redeviendra, pour une année encore, ma prison.

 

 

 

Sans en dire un mot à leur père, les enfants se procurèrent dans l’après midi tout ce que le mystérieux visage leur avait demandé. Ils retournèrent à la fontaine puis déposèrent dans la vasque, les marrons, les aiguilles, le houx et la neige. La nuit allait bientôt tomber. Par peur de se faire disputer, et craignant plus encore l’obscurité, ils retournèrent bien vite chez eux, essoufflés mais satisfaits.

 

Les jours passèrent. Chaque matin, les enfants faisaient un détour pour passer à proximité de la fontaine. Leur déception allait cependant grandissant car rien ne se produisait. Ils finirent même par se demander s’ils n’avaient pas rêvé.

 

L’eau avait cessé de couler dès le lendemain de l’apparition et la fontaine avait repris son apparence d’abandon et d’oubli.

 

Quelques jours avant Noël, en partant pour l’école, Victor trouva devant la porte de sa maison un marron sur lequel étaient gravés ces mots : «  Rendez-vous dans quatre jours ».

 

Il se demandait qui avait bien pu déposer cette étrange invitation. D’autant plus que dans quatre jours … ce serait Noël !

 

 

 

*   *   *

 

 

 

Les rues de la ville ne désemplissaient pas. Malgré le froid, les badauds s’attardaient devant les vitrines illuminées des magasins où peluches et automates dansaient de joie en attendant le grand jour.

 

Le soir du Réveillon, alors que Victor, Caroline et leur père dînaient d’un maigre repas, quelqu’un frappa à la porte.

 

_ Qui donc peut venir chez nous à cette heure ? s’exclama le père des enfants. Et surtout un soir de Noël !

 

Comme personne ne bougeait, les coups à la porte redoublèrent d’intensité. Victor se leva et alla ouvrir. Il n’y avait personne. L’endroit était désert.

 

_ Certainement une mauvaise plaisanterie, soupira le père des enfants.

 

Victor referma la porte. Ce soir là, il alla se coucher tôt, non sans avoir déposé au pied du lit de sa sœur qui dormait déjà une petite poupée qu’il avait confectionnée avec du chiffon et des morceaux de rubans récupérés on ne sait où.

 

 

 

*   *   *

 

 

 

Le lendemain matin, Victor n’en crut pas ses yeux. Il venait de s’éveiller dans un lit douillet, bien au chaud sous un duvet de plumes d’oie. Tout avait changé autour de lui : au lieu d’une petite pièce froide et sans couleur, sa chambre était devenue un lieu qui dépassait de loin ses rêves les plus invraisemblables.

 

En descendant l’escalier de la vaste maison, il retrouva sa sœur, son père et …sa mère autour d’un magnifique sapin de Noël décoré de guirlandes multicolores et de boules aux reflets chatoyants.

 

Au pied de l’arbre se trouvaient de nombreux cadeaux. Il n’en croyait toujours pas ses yeux. Ils étaient tous réunis dans une maison qui respirait la joie et le bonheur. A cet instant, la clochette de l’entrée retentit dans le vestibule.

 

Victor alla ouvrir.

 

Dans l’embrasure de la porte, il aperçut un homme de haute taille, vêtu d’un ample manteau brodé de feuilles de houx, d’aiguilles de sapin et deflocons de neige scintillants. Il reconnut sans peine l’inconnu de la fontaine.

 

_ Joyeux Noël, Victor !

 

L’homme lui tendit trois marrons.

 

_ Conserve-les précieusement, Victor, et fais en bon usage. Chacun d’eux pourra faire pour d’autres ce que je viens de faire pour toi.

 

En guise de remerciement, Victor lui offrit alors un sourire comme il n’en avait jamais donné.

 

 

 

*   *   *

 

 

 

Cette histoire m’a toujours marqué. Et savez-vous pourquoi ? Parce qu’elle est vraie ! Tout simplement. Aussi vraie que je n’ai pas d’âge. Aussi authentique que le sont mes souvenirs.

 

Vous ne me croyez pas ? Ramassez donc des marrons et vous verrez … Pas n’importe lesquels, évidemment.

 

Une sensation étrange semble vous assaillir... Je me trompe ? Ne vous retournez surtout pas : je suis juste derrière vous ! Mais cela, vous le saviez déjà …

 

 

 

*   *   *

 

 

 

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