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Les livres de Jérôme Thirolle
24 mai 2012

La savante imagination des modélistes en ganterie...

GantsJT

 

Les gants ont plus ou moins disparu du paysage vestimentaire de nos jours, à l’exception de ceux qu’on porte quand il fait froid ou pour des usages particuliers et utilitaires.

 Mais la main était à l’époque de la première moitié du XXème siècle triomphant (en gros, 1890 -1940) un support de choix pour des productions de cuir raffinées sur lesquelles s’exerçait la savante imagination des modélistes en ganterie.

 A défaut de pouvoir vous en montrer quelques exemples par l’image, je vais vous en livrer la description par des mots… (Extraits des Doigts d’or d’Elise) :

 

 

« La simple inclinaison allait devenir raison de vivre. Un matin de février 1917, tout avait changé. Les brumes matinales s’étaient dissipées avec difficulté et à l’instant où le beffroi de la Caisse d’épargne sonna dix heures, Élise comprit qu’elle avait en elle la capacité de transformer les simples opérations de couture en oeuvres d’art. Sa toile à elle serait le cuir des gants, les pinceaux ses aiguilles et les couleurs, sa palette de fils...

Elle n’oubliera jamais ces minutes où, l’aiguille d’acier à bout recourbé en main, elle exécuta sur tout le long du rebras d’un gant, de part et d’autre de la fente à cinq boutons, un fantastique entrelacements de roses rouges et blanches. Sans l’avoir appris, elle découvrait par elle-même que la superposition des noeuds dans les lignes de fils permettait d’obtenir un panel de couleurs beaucoup plus nuancé qu’avec une multitude de bobines..

 

[…]

 

« La veille, ignorant les recommandations de sa mère qui voulait l’en dissuader, Élise décida de faire parvenir à Marguerite Duplantier quelques-uns des modèles qu’elle avait réalisés dans le plus grand secret à partir de tout ce qu’elle avait pu récupérer ici ou là. Elle avait choisi cinq paires de gants qu’elle avait confectionnées puis ornées en pensant à Paul, son héros lointain. Elle les avait voulus à la gloire des valeureux soldats qui risquaient chaque jour leur vie pour défendre leur pays. Sur un cuir de couleur claire, elle avait cousu, brodé et teinté force symboles patriotiques où les drapeaux tricolores le disputaient aux feuillages d’or et où les palmes et les lauriers tressaient des couronnes de victoires à un coq dont les ergots enserraient un casque à pointe renversé. 


[…]


« Madame de Bellesgardes, riche héritière chaumontaise fantasque et exubérante, avait sollicité la jeune modéliste pour qu’elle lui propose quelque chose de moderne et de classique à la fois, de « sérieux tout en étant terriblement tendance » pour reprendre ses propres termes, afin de faire sensation lors de la grande fête qu’elle s’apprêtait à donner dans son hôtel particulier de la rue du Palais. Elle ne fut pas déçue... Tous ses invités furent subjugués par la magnificence de ses gants ! Élise s’était surpassée. Sur une peau de chevreau rouge vermeil d’une exceptionnelle finesse, elle avait fait broder la Dame à la Licorne, célèbre tapisserie du Moyen-Âge. Elle avait su rendre, par un jeu subtil de fils de soie entrecroisés, le décor merveilleux de cette scène énigmatique : devant une tente entrouverte d’un bleu sombre parsemé de larmes d’or, une jeune femme richement vêtue tendait négligemment à sa servante un collier tandis qu’une licorne, pattes avant relevées, observait la scène avec complicité dans un paysage de fleurs vivaces. Fidèle à son modèle, Élise n’avait pas omis de broder sur la collerette des manchettes l’inscription mystérieuse qui fit le succès de cette tapisserie : À mon seul désir. »

[…]


« LA DÉCOUVERTE AU COURS DE L’AUTOMNE 1922 de la sépulture quasiment inviolée d’un jeune roi de la XVIIIe dynastie, Toutankhamon, fit la une de tous les journaux. Dans les salons à la mode, on ne parlait plus que de ce jeune monarque égyptien inconnu, jeté soudainement à la face du monde. En pleine lumière. Celle notamment des photographes qui inondèrent rapidement la presse de leurs clichés extraordinaires, faisant naître une passion universelle pour l’Égypte antique qu’on avait plus connue depuis que le général Bonaparte avait abordé avec sa cohorte éclectique de savants de toutes sortes les terres occupées par les Mameluks.

À l’instant même où elle vit les premières images du royal fatras qui encombrait les salles souterraines du tombeau, Élise réalisa qu’elle ne pouvait laisser passer pareille occasion. Ses sources étaient particulièrement bien renseignées d’ailleurs puisque le brave Onésime connaissait personnellement le comte George Herbert de Carnarvon qui finançait les fouilles archéologiques menées par Howard Carter. Il avait en effet remplacé en quasi-totalité le mobilier du manoir de l’aristocrate anglais après que sa demeure eut brûlé il y a quelques années déjà. Des liens amicaux s’étaient noués entre les deux hommes et ils entretenaient depuis une correspondance régulière. Lord Carnarvon avait ainsi appris dès le lendemain de la découverte à son ami « au nom imprononçable pour tout Anglais qui se respecte », disait-il souvent en riant, la trouvaille qui allait lui valoir une immense notoriété. Depuis, il lui adressait tous les quinze jours environ un compte rendu assez précis de l’avancée des fouilles avec force photographies à l’appui. Et cela sans que Howard Carter n’en soit au courant bien sûr. Connaissant son caractère, il n’aurait guère apprécié qu’un inconnu à plusieurs milliers de kilomètres de là dispose d’autant de précisions sur ce qu’il considérait comme un trésor à garder avec autant de précautions que les bijoux de la couronne dans la Tour de Londres. Et peut-être plus d’ailleurs... Dès que la grosse enveloppe parvenait à Chaumont, Onésime la lisait puis la confiait à Élise. Elle dévorait chaque ligne, plongeait littéralement dans chacune des estampes pour y puiser le je-ne-sais-quoi qui lui ferait créer par la suite des modèles de gants que les plus fortunés de la planète s’arracheraient à prix d’or.

Il ne fallut pas plus de trois semaines à la Fabrique pour mettre sur le marché une nouvelle gamme de produits inspirés de ces découvertes. Chacune des paires de la série Pharaon était accompagnée d’un petit carton sur lesquels on pouvait lire : En enfilant votre main dans ce gant Trefandhéry, vous aurez l’impression de la plonger dans le sable d’Egypte. Auguste Fontaine en était l’auteur et il n’était pas peu fier de sa trouvaille.

Jamais on n’avait vendu autant de gants. Il faut dire que les concurrents de la Fabrique n’avaient pas saisi l’occasion qu’Élise avait transformée en formidable argument de vente. L’égyptomanie battait son plein et seule la ganterie de Chaumont avait eu le génie d’offrir sur le marché la série Pharaon. On y retrouvait tout ce que la jeune modéliste était parvenue à utiliser : broderies savantes de soie et de fils d’or imitant l’ambre et le lapis-lazuli, noeuds d’Isis, piliers Djed, oiseaux Akhem, représentations diversifiées d’Osiris, le dieu des morts, ou d’Horus, ou d’Anubis encore. Il n’était pas un gant qui n’arbore fièrement qui son vautour, qui son scarabée, qui son cobra dans des décors de disques solaires, de rosettes et de lotus. Sans oublier les somptueux hiéroglyphes qui personnalisaient de manière unique chacune des paires de gants. »

 

[…]

 

« SI JE VOUS DIS Jeux Olympiques, à quoi pensez-vous Élise ?

– À une paire de gants sur lesquels je ferais broder tout simplement les cinq anneaux en couleur...

–        Vous êtes incorrigible, mon ange !... »

 

[…]


« Sa première – et seule comme on le verra  par la suite – opération d’envergure fut le lancement de la gamme de gants intitulée sobrement « 89 ». Élise s’y était mise dès le début de l’année 1939 afin que tout soit prêt pour la date symbolique du 14 Juillet. À sa manière, la ganterie entendait célébrer avec enthousiasme le cent cinquantième anniversaire de la Révolution française.

Les festivités organisées pour cette occasion, aussi bien celles du 13 juillet au théâtre municipal en présence du préfet et du maire de la ville que celles du lendemain, donnèrent lieu à de nombreuses expositions ponctuées de présentations des plus belles pièces de la collection « 89 ».

Sur les directives de la femme de Paul, toutes les brodeuses furent réquisitionnées pour livrer en temps et en heure les milliers de paires de gants qui allaient inonder le marché, national et international. Là encore, Élise avait fait preuve d’originalité grâce aux compétences pointues des ouvriers de la Fabrique : les pièces les plus richement ornées étaient les gants dont la longueur du rebras excédait de beaucoup la distance habituelle de quatre boutons. La surface de cuir ainsi offerte permit de multiplier les broderies révolutionnaires associant cocardes tricolores, bonnets phrygiens, tambours, canons et faisceaux de licteur. L’autre particularité de ces gants venait de leur caractère éphémère. Ils n’étaient pas conçus pour être portés régulièrement mais pour ne l’être qu’en ces seules et uniques fêtes commémoratives. Ils incarnaient le luxe à part entière : hors de prix, réalisés avec des matières exceptionnelles, ils permettaient à quelques privilégiés de célébrer l’excellence d’une marque en même temps que le triptyque sacré : liberté-égalité-fraternité. Avec une forme de cynisme tout de même...»

 

[…]

 

« Élise sortit de son carton deux esquisses de gants, l’un appelé « Aube », l’autre « Crépuscule ». Elle avait tâché d’y faire passer tout ce qu’on pouvait ressentir en regardant le soleil se lever ou se coucher sur l’horizon. Un subtil mélange de couleurs, d’impressions et de sentiments qui troublèrent profondément l’officier. »

 

[…]

 

« Obersturmbannführer Von Soultz ! dit-il pour se présenter. C’est donc vous l’exceptionnelle modéliste de la fabrique de gants... J’ai besoin de vos services ! Nous célébrons bientôt l’anniversaire d’un haut dirigeant de notre Grand Reich et je voudrais offrir une paire de gants à sa femme pour cette soirée... Elle s’appelle Sonia...

– J’ai peu de temps pour moi...

– Vous aurez tout le temps qu’il faudra ! reprit-il sèchement. Je voudrais deux longs gants de cuir rouge avec sur le haut du bras une magnifique croix gammée sur fond blanc et une autre paire en cuir noir avec toute la symbolique de la SchutzStaffel, notamment des têtes de mort ! J’en raffole !... Cela devrait rentrer sans difficulté dans vos compétences...

– Cela tombe mal car j’ai des douleurs dans les doigts en ce moment…, répondit Élise avec aplomb.

– Frau Trefandhéry, voulez-vous, dit-il avec une voix doucereuse, que je vous fasse... écraser les mains pour que vous puissiez vous rendre compte qu’il y a douleur et douleur ?... »

Elle resta interloquée.

« Nous n’avons plus de cuir assez fin pour vos gants, j’en suis désolée...

– Vous en aurez ! Dites seulement ce dont vous avez besoin...

– Néanmoins, je crains de... »

L’officier SS l’interrompit en frappant du poing sur la table avec violence :

« Taisez-vous ! Je ne veux plus vous entendre, c’est compris ? »

 

[…]

 

« Élise expliqua aux responsables de la ganterie qu’elle ne souhaitait plus travailler comme modéliste. Sa passion s’était étiolée et sa fortune l’en dispensait de toute manière… Elle ne livra donc plus aucun projet avenue Carnot, à la seule exception d’une commande particulière de l’OTAN en 1956. Une grande fête doublée d’une émouvante cérémonie fut organisée le 4 juillet, jour de l’Independance Day. En mémoire de Juliane Morley, Élise avait accepté de revenir sur son engagement et mit tout son coeur et tous ses souvenirs dans une magnifique paire de gants brodée d’une Statue de la Liberté en fils d’argent sur fond de drapeaux français et américains. Elle n’avait pas voulu refuser la sollicitation de la base de Semoutiers qui souhaitait célébrer une nouvelle fois à sa manière l’entente franco-américaine. »

 

[…]

 

 Le talent de ces artistes fut inépuisable...

 

____

LesDoigtsDOrElisecouverturedulivre

 

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Commentaires
B
Monsieur Thirolle ce fut un énorme plaisir de lire les doigts d’Élise une lecture facile qui nous entraine dans le Chaumont de ma naissance ou une tante a travaillé a la ganterie ma meilleure amie de classe habitait dans la cour des rois très vieux et sombre que de souvenir qui me remontent merci merci je suis trop émue pour en dire plus........
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