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Les livres de Jérôme Thirolle
29 novembre 2017

Chapitre 11 Fichu caractère !

 

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Chapitre 11 Fichu caractère !

Malgré la fatigue de la journée, Victoire eut du mal à trouver le sommeil. La chaleur qui régnait dans la chambre y était peut-être pour quelque chose. La réapparition soudaine d’une angoisse diffuse liée à cette dispute n’y était pas étrangère non plus. Elle parvint malgré tout à s’endormir en souhaitant que cet “incident de parcours” ne tire pas pour autant à conséquences.

Lorsque Richard entrouvrit les yeux, les rayons du soleil avaient déjà envahi la chambre à travers les persiennes. La violence de la lumière lui fit émettre un grommellement qui en disait long sur son état d’esprit au réveil. Il se releva péniblement sur ses coudes, cala son dos contre l’oreiller et, constatant qu’il était seul dans le lit, chercha Victoire du regard. Une silhouette un peu vague lui apparut alors dans un coin de la pièce. La jeune femme était assise devant le petit bureau. Elle prenait des notes dans son carnet de vacances tout en tenant le courrier de l’abbé Saunière d’une main. Le cuivre doré de ses cheveux resplendissait avec une intensité troublante et offrait un contraste saisissant avec la pâleur de sa peau. La scène était d’autant plus enivrante qu’elle ne portait que la petite culotte de coton blanc qui lui avait servi de pyjama.

En temps normal, elle répugnait à se découvrir pour dormir mais la température de la pièce l’avait incitée à oublier ses principes et à se coucher quasiment nue, révélant à l’impudeur de la nuit ses taches de rousseur, sa chair moite et ses mèches de feu. À la voir ainsi exposer son corps dans sa plus simple expression, elle aurait donné envie à n’importe quel homme mentalement équilibré de communier avec le soleil, d’abattre des forêts de chair ou de tuer sans raison. Sa silhouette découpée par la lumière matinale ressemblait à un mirage en plein désert. Un éclair d’animalité et de fraîcheur dans la sensualité du petit jour. S’ils étaient passés par là, Fernand Khnopff ou Gustav Klimt se seraient rués sur leurs pinceaux pour immortaliser Victoire sur la toile, étourdis par la beauté provocante et érotique de cette fille rousse. Au lieu de cela, Richard se laissa retomber sur le lit en soupirant.

Damnée Danaé PhotoJT

— Inutile de te demander ce que tu fais !

— Tu pourrais commencer par dire bonjour…

— Oh, ça va ! La matinée s’annonce prometteuse…

— Il fait un temps superbe !

— Ce n’est pas ce que je voulais dire…

— J’avais compris ! Je prenais juste quelques notes en attendant que tu te réveilles… fit-elle sans se retourner.

— Lâche-moi avec ce curé ! se fâcha aussitôt Richard. Laisse-le où il est et arrête de m’user les nerfs de si bonne heure avec tes conneries !

— Ecoute, si cela ne t’intéresse pas, reste au lit et laisse-moi tranquille !

— C’est ma famille, pas la tienne…

La phrase retentit dans la pièce comme un coup de feu. Ou plutôt siffla comme un poignard lancé entre les omoplates de la jeune femme, ravivant en elle de douloureux souvenirs lié à un drame familial que le temps s’efforçait d’effacer mais que ces simples mots avaient ressuscités. Elle en éprouva une insondable tristesse. Sans le vouloir véritablement, Richard avait frappé fort, très fort, blessant celle qu’il aimait en fin de compte plus qu’il ne l’aurait souhaité. Lui aussi de son côté avait à se battre contre une forme de haine qui avait envahi son coeur depuis des mois et des mois. Il ne parvenait pas toujours à réprimer ce sentiment délétère qui s’insinuait de plus en plus souvent entre elle et lui, cette pourriture “ignoble” (à l’inverse de celles des vignerons) qui s’acharnait à corrompre petit à petit l’amour qu’ils nourrissaient l’un envers l’autre. Victoire garda le silence quelques instants pour mieux retenir ses larmes puis s’adressa à son mari en évitant de croiser son regard :

— Je vais prendre ma douche avant de descendre…

— Tu ne pouvais pas le faire avant ? demanda Richard d’un ton cassant.

— Tu dormais et je ne voulais pas te réveiller.

— J’ai faim !

— Je me dépêche…

D’un geste vif, elle ôta son slip et se dirigea sans attendre vers la salle de bain.

Lupin JT

Lorsqu’elle en sortit quelques minutes plus tard, Richard n’était déjà plus là. Il ne l’avait pas attendue. Il terminait de prendre son petit déjeuner quand elle pénétra dans la salle à manger du rez-de-chaussée, le visage marqué par un air de déception et de lassitude. Elle s’installa cependant en face de lui, au moins pour faire bonne figure devant Sigismond Tournebouix qui venait de l’accueillir avec un bonjour aussi chaleureux que tonitruant. Richard prétexta alors un départ de randonné qui ne pouvait pas attendre pour la planter là, brutalement.

— Quel fichu caractère… murmura-t-elle en reposant sa tartine sur la table. Elle n’avait ni la force ni l’envie de manger quoi que ce soit. La journée s’annonçait belle pourtant mais c’était compter sans la réaction imprévisible de Richard qui, d’une certaine manière, avait tout gâché.

La scène n’avait pas échappé à l’hôtelier. Toujours réticent à s’immiscer dans la vie privée de ses clients malgré son côté sans-gêne, il jugea bon néanmoins d’aller la réconforter.

— Votre mari vous abandonne au lever du jour ? Un problème avec la chambre ?

— Non, non, ne vous inquiétez pas… Il est parti marcher pour s’éclaircir les idées. Il travaille beaucoup vous savez, alors dès qu’il arrête un peu, il lui faut s’y habituer…

— Ma pauvre petite ! s’exclama Sigismond en pensant “vous mentez bien mal mais la tristesse de vos yeux m’interdit de vous le dire”. Allez, ne restez pas ici à l’attendre, profitez des beautés que nous vous offrons, la région et moi ! Et puis, tot aquò s’arrengara sus lou cousin !( Tout s’arrangera sur l’oreiller).

Victoire le regarda sans comprendre.

— Dites-vous qu’il reviendra vite ! Le vin et le ventre des femmes : voilà ce qui fait toujours revenir les hommes ! Bah, ne faites pas cette grimace, vous savez que j’ai raison ! Roda que rodaras, mai dins ton pais tornaras ! (Rode qui rodera, mais dans ton pays tu reviendras)  s’écria-t-il en tapant ses deux larges mains sur son ventre rebondi. Donà Victoire, allez donc vous promener un peu dans Couiza ! C’est une ville qui se prend plus qu’elle ne se donne mais elle sait offrir à ceux qui y flânent librement toute son authenticité.

— J’ai mon Guide Vert

— Donà Victoire, ce n’est pas un guide qu’il vous faut ! Votre livre ne saura vous mener que jusqu’aux lourdes portes du Château des ducs de Joyeuses ! Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’y rendre mais vous aurez vite fait le tour de ces vieilles murailles. Non, ce que votre bouquin ne vous dira pas, là où il ne saura pas vous conduire, c’est moi qui vais vous l’indiquer ! Et surtout, pro-me-nez vous ! Prenez le temps de vous ennuyer, d’errer sans but précis, sans guide, sans plan et sans appareil photo ! Ouvrez les yeux, votre cœur suivra !

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Victoire baissa les yeux en souriant.

— Vous permettez ? lui dit-il en attrapant le dossier de la chaise que Richard avait laissée vide quelques minutes plus tôt.

Elle acquiesça d’un mouvement de la tête. Il s’assit, lissa sa barbe du plat de la main et la regarda droit dans les yeux avec une intensité telle qu’elle en éprouva presque un sentiment de malaise.

— En sortant d’ici, dirigez-vous vers les Corbières, à l’opposé de la gare. Prenez la rue du Vieux cimetière puis la promenade de Gournet. Là, un peu à l’écart, vous verrez une bâtisse abandonnée derrière trois grands pins. Allez-y, le coup d’œil vaut le détour ! C’est une ancienne chapellerie, la seule qui n’ait pas encore été débarrassée de ses machines malgré l’arrêt de la production il y a presque cinquante ans maintenant.

— Une chapellerie ?

— Oui, c’était une spécialité réputée de Couiza ! Les couvre- chefs en poil de lapins et les chapeaux cloches en laine ou en feutre ont fait la richesse de la cité avant de causer sa perte ! L’endroit est en ruine, je vous le concède, mais tout dans ces lieux respire encore la grandeur passée ! Une fois que vous vous serez bien imprégnée de l’atmosphère qui enveloppe ces vestiges, retournez vers le centre-ville en longeant la Salz. Quand vous apercevrez un café dont la façade est ornée d’une statue polychrome de saint Jean le Baptiste, tournez à gauche et arrêtez-vous chez mon ami Bernard de Cosneil. Un savant, un érudit, cet homme ! Il tient une librairie- café. La seule à Couiza, d’ailleurs ! J’ai cru comprendre que vous aimiez flirter avec les vieux papiers : c’est l’endroit qu’il vous faut ! Vous y apprendrez tout ce que vous voulez savoir sur notre belle région ! Ses richesses, son histoire, ses mystères aussi ! ajouta-t-il en scrutant sa réaction.

Elle fit mine de ne pas s’en apercevoir.

— Encore un conseil et je vous laisse tranquille après : quand vous en aurez assez de fureter dans ses rayonnages, faites-vous servir une assiette de fromage de chèvre accompagné de salicorne : une pure merveille ! Promettez-moi d’y goûter ! Vous m’en direz des nouvelles ! Allez !...

— Allez quoi ?

— Promettez !

— Si vous voulez, finit-elle par concéder en souriant.

— Voilà, à la bonne heure ! Enfin de la joie sur ce beau visage ! fit-il en se levant. Faites comme je vous ai dit et vous remercierez ce soir ce bon vieux Sigismond de vous avoir ouvert les portes d’une si belle journée ! Filez, je débarrasserai après… dit-il en regagnant la réception où l’attendait un client qui semblait s’impatienter.

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Victoire termina son jus d’orange et s’essuya le coin des lèvres avec sa serviette avant de regagner sa chambre. Elle nourrissait le secret espoir que Richard, pris de remords, se soit ravisé et ait décidé de revenir. En apercevant la porte entrouverte, son cœur se mit à battre plus fort. D’autant qu’elle était certaine de l’avoir fermée à clé avant de descendre. Mais la pièce était vide, désespérément vide. La femme de ménage avait certainement oublié de refermer en sortant.

— Quel fichu caractère ! soupira-t-elle douloureusement en pensant à son mari.

à suivre...

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