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Les livres de Jérôme Thirolle
3 mars 2018

Chapitre 14 A l’heure des confidences

 

Confidences PhotoJT

 

Chapitre 14 A l’heure des confidences

— Je passe devant, je sais où c’est ! fit Sixtine sans se retourner. Elle maniait avec une dextérité époustouflante son fauteuil entre les rangées étroites de livres et les piles de revues.

— Mesdames, je vous en prie…

Bernard de Cosneil les installa autour d’un petit guéridon en fer forgé recouvert d’une nappe blanche à motifs fleuris et leur expliqua avec une délectation non feinte comment lui était venue l’idée de rapprocher une librairie et un café dans ce qu’il avait baptisé lui-même une librairie-café. Même si l’endroit avait été modernisé, on devinait encore l’ancienne salle de restaurant à la décoration art déco. Aux murs, entre de larges miroirs complètement piquetés, des appliques sphériques en verre dépoli montées sur une forme vaguement cylindrique en bronze doré étaient allumées en plein jour. Tout autour de la pièce couraient des moulures, des colonnes et des rinceaux avec d’innombrables fleurs sculptées, des roses presque exclusivement. Au début, les deux jeunes femmes étaient seules dans la salle.

Sur le moment, Victoire fut prise d’un remord en songeant à Richard qui l’attendait certainement pour déjeuner.

— Tu as l’air soucieuse soudain ? s’inquiéta Sixtine.

— J’ai complètement oublié de prévenir Richard !

— Richard ?

— Mon mari.

— Il apprendra à se passer de toi aujourd’hui !

— Bah, tant pis pour Richard, tu as raison… Il est parti sans m’attendre ce matin, alors…

— Et mufle avec ça !

— Non, c’est plus compliqué …

— Vis ta vie, ma belle ! On n’est plus à l’époque de nos arrière-grands-mères !

— L’égalité entre les hommes et les femmes progresse, je sais…

— Là, tu me fais rire ! Excuse-moi, mais je croirai à l’égalité le jour où les supermarchés n’encombreront plus leurs rayons de fers à repasser la veille de la Fête des Mères ! Il fait quoi dans la vie ton Richard ?

— Banquier.

— Aïe ! J’imagine… Costar-cravate, BlackBerry à la ceinture et chiffres plein la tête ?

— Un peu… concéda Victoire en souriant du mieux qu’elle put.

— Laisse-le là où il est pour l’instant !

Au même moment, Bernard de Cosneil réapparut par une porte à doubles battants surmontée de vitraux géométriques très années 20.

— Mesdames, puis-je vous proposer la carte ?

— Sigismond Tournebouix m’a vanté votre assiette de fromage de chèvre accompagné de salicorne ! fit Victoire.

— Sigismond est toujours de bon conseil ! Laissez-moi vous offrir deux verres de Cabardès avant de commencer. Un vin rosé tonique et frais qui puise ses saveurs sur les coteaux de la Montagne noire. Vous m’en direz des nouvelles…

— Va pour le chèvre, la salicorne et le Cabardès ! s’écria à son tour Sixtine.

— Voilà qui est bien parlé, Mesdames.

Un regain d’optimisme envahissait le coeur de Victoire. Elle était heureuse d’être là, de se savoir en bonne compagnie, de ne plus penser à ses tracas. Tout l’invitait à profiter de l’instant présent. Elle tenait cette leçon de bonheur d’une inconnue en fauteuil roulant qui avait croisé sa route par le plus grand des hasards.

Sixtine lui fit un clin d’oeil en signe d’amitié.

— Alors, que dois-je savoir de toi si ce n’est que ton mari s’appelle Richard et que ce con t’a laissée seule au petit déjeuner ?

— Ce n’est pas sa faute…

— Pas sa faute ? Ben voyons ! C’est toujours pareil avec les hommes : ils finissent par trouver une bonne âme pour les plaindre ! Mais ils ne le méritent pas ! Je n’ai eu qu’un homme dans ma vie. On est resté ensemble deux ans. Archéo-anthropologue à l’INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) qu’il était ! Un vrai professionnel de la chignole, un obsédé ! Limite zarbi ! Et puis un beau jour, il s’est barré avec une bimbo à gros seins. Rien dans la cervelle mais du silicone plein le bustier ! Je ne l’ai jamais revu. Et c’est là que j’ai compris que s’attacher ne servait à rien. Si ce n’est qu’à se bousiller le cœur ! Alors, depuis, je profite de la vie ! Je m’en suis tapé des mecs, je peux te le dire ! Des gros, des maigres, des petits, des chauves à lunettes, des sportifs, des paumés, des intellos et même des vieux ! Quand je suis allongée sur le dos, ils ne voient plus la différence. Oublié le fauteuil ! Je m’envoie en l’air à la moindre occasion, enfin, façon de parler ! Il y a un vrai tabou en France sur la sexualité des handicapés mais nous avons une libido comme tout le monde ! Ce n’est pas parce que je suis assise que je dois m’interdire désirs et plaisirs !

Victoire l’écoutait et la regardait avec empathie malgré des propos qu’elle aurait qualifiés auparavant de choquants.

Elle était l’amie véritable, la confidente qu’elle cherchait depuis toujours. Vive, joyeuse. Aux antipodes de ce qu’elle était devenue, elle. Ou de ce qu’elle devenait.

— Bon, pour être honnête, poursuivit-elle, toutes les positions ne me sont pas permises à cause de mes jambes. Mais je me rattrape autrement…

— Je te crois volontiers…

Les deux verres de Cabardès que Victoire avait bus commençaient peu à peu à la libérer de sa retenue habituelle. Elle osa même complimenter Sixtine sur sa tenue : débardeur “pop” un peu serré qui mettait en valeur sa poitrine, sur laquelle s’étalait d’ailleurs fièrement en lettres irisées un “Mr 80” provocateur, minijupe plissée en coton et Converse modèle Chuck Taylor aux pieds, rouge sang avec l’étoile blanche désormais si célèbre.

— J’aime bien les fringues, répondit-elle. On se raccroche à ce qu’on peut ! Et encore, tu m’aurais connue il y a quelques années… J’ai eu une époque Gothic, comme tous les apprentis rebelles. Les cheveux noirs, ça aidait ! J’écoutais du Métal à fond et j’avais des piercings un peu partout. Mais vraiment partout, si tu vois ce que je veux dire. J’ai eu aussi ma période hippie, tendance new age, tunique brodée et pantalons imprimés de motifs cachemire, mais ça n’a pas duré. Depuis, je me suis un peu assagie…

— Vraiment ?

Elles partagèrent alors un fou rire sincère qui dura de longues secondes. Il était déjà presque quatorze heures quand Victoire aborda à mots couverts la délicate question de sa situation sentimentale. En temps normal, sa pudeur naturelle l’aurait empêchée de dire quoi que ce soit à ce sujet mais le rosé et l’atmosphère de confiance qui était née entre elles deux levaient un à un des tabous jusque-là profondément ancrés dans ce qui faisait sa personnalité.

Parler la libérait d’un poids considérable, celui de devoir tout accepter et de ne rien dire. Le poids des convenances. Elle découvrait les bienfaits de la confession, librement consentie. Pour un peu, cette table de bistrot prenait des allures de divan de psy. Sixtine l’écoutait, la réconfortait. Sans jamais tourner en dérision ce qu’elle disait. Pourquoi l’aurait-elle fait, d’ailleurs ? Elles papotaient désormais comme deux amies.

Une heure plus tard, la salle s’était vidée de ses occupants. Le dernier à être resté plus longtemps que les autres était un homme à la peau couperosée avec des cheveux noirs gominés et des dents mal plantées.

— Tu as vu le type là-bas ? fit Sixtine en parlant plus bas pour qu’il n’entende pas.

Victoire, trop absorbée par leur conversation, n’avait pas prêté attention aux autres tables.

— Oui ?

— Eh bien, il a une tête à faire du tandem tout seul ! Regarde-le : veste en velours, montre dorée, chemise blanche et pantalon en jersey ! Un vrai beauf !

— Pas terrible, en effet !

— Yeux bleus délavés genre chien battu et chaussures à talons : tout ce que je déteste ! Et lui, à mon avis, question plumard, c’est pas une affaire, tu peux me croire…

— Tu es vraiment incroyable !

— Que veux-tu ! Je suis comme ça. Toi, en revanche, tu n’es pas tellement du genre à te faire prendre le derrière entre deux portes…

— Non, pas vraiment, répondit-elle rêveusement.

— Bah, il faut de tout pour faire un monde ! Mais avec ton Richard, c’est quoi le truc qui coince ?

— Si je le savais… On est un peu moins proches l’un de l’autre depuis un certain temps. Et c’est cela qui me fait peur. Plus que les disputes, d’ailleurs.

— Je vois…

— Et il y en a tellement qui divorcent autour de nous…

— Ouais, mais c’est pas une raison pour fiche en l’air ton couple ! Le temps aplanira peut-être les difficultés…

— Je te trouve bien philosophe soudain. Cela ne te ressemble pas !

— Ça me fait de la peine de te voir dans cet état. Allez, on parle d’autre chose ! trancha-t-elle d’un coup en apercevant les yeux de Victoire s’embuer de larmes. Au fait, excuse-moi pour le bouquin de tout à l’heure !

— Le bouquin ?

— Oui, celui que tu t’apprêtais à prendre quand j’ai déboulé dans ta vie.

— Ah, celui-là…

— Un truc sur Rennes-le-Château, je crois. Tu connais ?

— Un peu… répondit-elle évasivement.

Un peu comme ceux qui n’en ont jamais entendu parler ou un peu comme ceux qui passent tout leur temps libre dans le coin ?

— Pourquoi me demandes-tu cela ? fit-elle en souriant.

— Tu sais, y’a pas de mal à croire aux trésors ! Sans un minimum de mystères, la vie serait trop triste. Je ne connaissais pas l’abbé Saunière avant de venir ici, mais depuis que je traîne chez le moustachu, il faudrait que je sois aveugle en plus d’être paraplégique pour y échapper ! C’est quand même une histoire de fous quand on y pense ! Et puis, je vais te dire, il n’y a jamais de fumée sans feu ! Si c’était bidon, il n’y aurait pas autant de chercheurs de trésors dans les environs ! Mais comme tout secret qui se respecte, il est bien gardé…

— C’est le moins que l’on puisse dire…

— Allez, fouts-toi de moi en plus !

Elles rirent de bon cœur.

— Disons que je m’y intéresse un peu… finit par avouer Victoire.

— Ne prends pas cette petite voix pour le dire ! Je ne me moquerai pas de toi ! J’y crois, moi, à ce trésor ! Je n’ai pas l’ambition de le découvrir mais cela me ferait plaisir de contribuer à résoudre le mystère !

— …

— Ça t’intéresserait qu’on cherche ensemble ?

— …

— N’ai pas peur ! Pas à plein temps ! Je n’ai pas envie de voir ton Richard débarquer pour me mettre une raclée sous prétexte que je lui monopolise sa moitié !

— Ce n’est pas son genre…

— Tu me rassures. Non, sérieusement, ça t’intéresserait ?

— Ecoute Sixtine…murmura Victoire en regardant attentivement tout autour d’elles. Il faut que je te fasse une confidence… Mais c’est entre nous, tu ne dois en parler à personne…

— … ?

— Juré ?

— Croix de bois, croix de fer…

— Eh bien, voilà…

Victoire lui raconta par le menu comment une lettre perdue depuis près d’un siècle était arrivée jusqu’à eux par le plus invraisemblable des hasards. Une lettre envoyée par l’abbé Saunière à sa sœur, l’arrière arrière-grand-mère de Richard. Une missive un peu étrange, du moins suffisamment troublante pour que, connaissant son auteur, les espoirs les plus fous vinssent aussitôt à l’esprit. Elle lui signala également les trois mots écrits au dos d’une carte postale qui y était jointe : Requiescat in pace.

Les deux femmes se regardèrent sans rien dire. Un silence pesant s’abattit soudain sur la librairie-café. C’était à peine si l’on percevait les bruits de la rue.

Pouvoir faire cette confidence à quelqu’un soulageait Victoire d’un lourd fardeau. Peut-être qu’à deux (toute participation de Richard étant à exclure dans ce domaine), les mystères de Rennes-le-Château y perdraient de leur opacité. C’est du moins ce qu’elle espérait en s’ouvrant enfin à une oreille attentive. Il est parfois plus facile de se confier à un quasi inconnu qu’à un proche : l’âme humaine est ainsi faite.

Sixtine était abasourdie.

— Alors là, j’hallucine !...

Victoire baissa les yeux pour ne pas croiser à nouveau le visage éberlué de sa nouvelle amie.

— Et vous en avez parlé à quelqu’un ?

— À personne.

— ...

— ... ?

— J’hallucine !... Si j’étais vulgaire, je dirais que tu m’as troué le cul !

à suivre...

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