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Les livres de Jérôme Thirolle
21 août 2019

Chapitre 52 Le voile se déchire… (1/3)

 

Confrérie PhotoJT

Chapitre 52 Le voile se déchire… (1/3)

 

— J’appartiens à une confrérie occitane chargée de veiller sur le trésor depuis des siècles et des siècles. C’est une croix que nous portons dans le plus grand secret, de générations en générations. Charles, lui aussi, aurait dû prendre la relève à son tour ; je l’y préparais peu à peu mais par votre faute…

Bernard de Cosneil resta silencieux pendant de longues secondes, une grimace de haine sur le visage.

— Bigou et Saunière ont failli nous perdre, reprit-il, mais ils n’y sont pas parvenus, Dieu merci. C’est à eux que vous devez d’être là aujourd’hui ! J’espère que ces prêtres bavards et imprudents se consument dans le brasier de l’Enfer en expiation de leur traîtrise ! Ils ont éventé ce qui ne devait pas être dit et mis en péril la préservation d’un savoir immémorial voué depuis toujours à l’ombre forcée de son oubli !

Victoire sanglotait. L’espace d’un instant, le libraire de Couiza fut presque touché par la grâce qui émanait de cette Piéta aux longues boucles rousses, agenouillée sous le soleil accablant de l’Aric.

— Vous auriez peut-être fini par comprendre ! s’écriat- il, comme s’il éprouvait le besoin de se justifier. Je vous l’ai dit, la préservation de ce secret est un cilice pour celui qui le porte, une croix… Mais c’est mon devoir et je ne trahirai ni mon serment ni mes ancêtres ! Ce qui n’était pour vous qu’un agréable jeu de piste pendant les vacances touche à des révélations si profondes que même les gardiens au sein de la confrérie les ignorent ! Je ne possède pas toutes les clés, loin s’en faut ! Le peu que je sais, je vais vous le révéler. Et je ne vais le faire que parce que vous allez mourir, aussi sûr que deux et deux font quatre. Deux balles pour lui, deux balles pour elle. Quatre petits coups et puis s’en vont ! ajouta-t-il en se secouant d’un rire étrange et inquiétant. Je me libère en parlant mais j’efface aussitôt mon erreur : le procédé peut vous paraître cruel mais il m’aidera à accepter la disparition de mon neveu bien aimé ! Vous vouliez élucider le mystère de Rennes-le-Château ? Je vais exaucer votre vœu…

— On ne comprend rien à votre charabia ! l’interrompit Richard.

— Ne jouez pas les matamores, monsieur Louvrier, cela ne vous va pas. Et puis c’est un peu tard ! Mais rassurez-vous, je vais être bref. Je ne voudrais pas retarder votre rendez-vous avec la Mort… Ce qu’il faut que vous compreniez, c’est que Bérenger Saunière n’a jamais été riche du trésor mais seulement de son emplacement. C’est sur ce point précis que tous les chercheurs ont échoué. Et pourtant, Dieu sait que ce prêtre maudit s’est ingénié à rendre visible ce qui ne l’était pas ! Rappelez-vous la lettre de l’abbé à sa sœur : “Tous se perdront dans le labyrinthe des signes mais pas toi. À eux les évidences, à toi la boussole qui guide dans la nuit. Je dois te paraître bien confus mais les ténèbres se déchirent sans mal quand on possède la clé” Et la clé, il vous la donnait ! Trois mots surchargés d’encre : “Saint-Pierre”, “cœur” et “tombeau”. Mais encore fallait-il pouvoir décrypter sa pensée, bien sûr ! Je vais quand même vous y aider : lorsque Saunière prit possession de sa nouvelle cure en 1885, le spectacle était édifiant, vous le savez. L’église étant dans un état déplorable, il décida d’y entreprendre des travaux grâce au don de la comtesse de Chambord. En démontant la dalle de pierre de l’autel, il découvrit dans le pilier wisigoth des parchemins qui le conduisirent au balustre de la chaire où avait été dissimulée une fiole de verre contenant un autre parchemin rédigé par celui qui fut le curé de Rennes-le-Château de 1776 à 1792, Antoine Bigou. Ce dernier y dévoilait d’une part qu’un fabuleux trésor enfoui dans la crypte souterraine de l’église avait été déplacé et mis en sûreté ailleurs à cause de la folie dévastatrice de la Révolution et d’autre part qu’il avait caché une infime partie de cet antique coffre- fort de la Chrétienté (quelques objets liturgiques de grande valeur et de nombreuses monnaies anciennes) dans une oule dissimulée sous le maître-autel. À l’endroit exact où Saunière la découvrira… Sa soif de travaux conduisit votre ancêtre à vendre l’ensemble à Léo Schidloff, un marchand d’art autrichien, qui lui versa une importante somme d’argent en contrepartie. Mais Saunière n’était hélas pas homme à se satisfaire de si peu. Assez vite, il épuisa son bas de laine et se demanda comment monnayer l’immense secret dont il était désormais le dépositaire.

La destinée allait cependant servir ses ambitions : lors d’un déplacement à Paris à l’initiative de M. Letouzey, l’éditeur de la Vie des Saints dont Bérenger était un fervent lecteur, il fut convié à une réception donnée par le célèbre musicien Claude Debussy. Il y rencontra par le plus grand des hasards… Henry Bataille ! Ce dernier, stupéfait de reconnaître la haute silhouette aperçue bien des années plus tôt à Moux lors de l’inauguration de la ligne de chemin de fer, s’enticha de ce prêtre mystérieux au point de le revoir à plusieurs occasions au cours desquelles Saunière lui fit part du désespoir qu’il éprouvait à ne plus pouvoir laisser libre cours à ses ambitions. En 1891, Bataille et l’homme d’église passèrent finalement un pacte effroyable : briser le secret de la confession en échange de fortes sommes d’argent ! Au départ, Saunière avait rejeté l’idée même d’une telle trahison mais il avait fini par céder. Et c’est ainsi qu’un obscur écrivain de Paris découvrit et l’existence et l’emplacement du trésor. Maudite soit la faiblesse des hommes ! Bataille tint sa promesse et lui fit d’importantes donations, tout en promettant à l’ecclésiastique qu’il en obtiendrait encore davantage quand le succès de ses œuvres serait au rendez-vous. L’auteur trop souvent méprisé par la critique tenait enfin sa revanche sur les aristocrates qu’il haïssait tant et sur la riche société parisienne qui le tenait pour insignifiant. La possession seule du secret lui conférait un sentiment de supériorité sur le monde en général et sur les gendelettres en particulier. Imaginez-le presque unique détenteur du lieu caché où s’entassaient entre autres les richesses de Salomon, de Titus et d’Alaric ! De l’endroit où s’étaient déversés des siècles et des siècles de pillages et d’accumulation attisant la folie exclusive des Hommes ! Bataille accédait enfin à l’immortalité !

Fort de cet enrichissement soudain et inattendu, Saunière se lança à partir de 1895 dans des fouilles ostensibles au sein du cimetière communal et dans d’étranges aménagements nocturnes qui ne passèrent pas inaperçus des villageois, surtout quand Marie Denarnaud l’accompagnait une lanterne à la main… Et tout ça pour quoi ? Pour tromper les curieux, pardi ! L’existence vague d’un trésor avait toujours été évoquée comme dans tant d’autres endroits de la région, alors il s’en servait sans vergogne. Le stratagème était ingénieux : laisser croire qu’il avait découvert quelque chose pour justifier des rentrées d’argent de moins en moins discrètes. Personne ne devait savoir ni comprendre que Henry Bataille lui rémunérait ainsi sa trahison ! Ses trente deniers à la Judas, à la nuance près que la corde le tentait moins que les cordons du luxe…

 

Même si la scène ne s’y prêtait évidemment pas, Bernard de Cosneil s’exprimait avec un lyrisme où se mêlaient la haine et l’admiration. L’imminence d’une double mise à mort semblait le réjouir. Calmement, les yeux toujours rivés sur les deux jeunes gens, il reprit le cours de son récit.

— Dès 1897, les succès innombrables du dramaturge sur les planches de l’Odéon ou du théâtre de la Porte Saint-Martin se reflétèrent dans l’aisance financière de Saunière. Il acheta des terrains, construisit la Tour Magdala et la villa Béthanie, multiplia les collections, donna des banquets… En un mot, il mena grand train au crochet de son bienfaiteur.

L’évêque de Carcassonne ne tardant pas à s’en apercevoir, ce fut alors pour l’abbé les affres d’une lente déchéance : l’Église lui fit un procès, il le perdit ; Berthe Bady, la compagne de l’écrivain, ne voulant plus entendre parler de ce prêtre par qui le scandale arrivait enjoignit son amant de cesser de le voir, ce qu’il fit. L’auteur de la Chambre Blanche cessa ses versements puis quitta vers 1912 la comédienne, sans pour autant reprendre ses règlements. Il voulait couper tout lien avec son “ancienne existence”. Les ennuis financiers de Saunière s’amplifièrent encore, tandis que les dettes et les traites de son train de vie dispendieux ne cessaient de s’accumuler, l’obligeant autant à la misère qu’au silence.

— Et qu’est devenu le trésor ? demanda Victoire d’une voix hésitante.

à suivre...

 

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