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Les livres de Jérôme Thirolle
18 avril 2014

Chapitre 11 L'héritier Trefandhéry

 

H 15

 

Chapitre 11

L’héritier Trefandhéry

«MÉDECIN ? ET POURQUOI PAS charpentier tant que vous y êtes ! Vous êtes ridicule mon ami, ridicule !

– Ne vous emportez pas ainsi, Esther, fit Jules Trefandhéry en posant la main sur l’épaule de son épouse.

– Paul doit reprendre la ganterie, un point c’est tout !

– Je suis d’accord avec vous mais je constate simplement que reprendre la Fabrique n’est pas l’ambition première de notre fils.

– Son ambition ? Rejoindre les rangs de ces carabins sans culture qui n’ont pour seul viatique en société que leur suffisance ? C’est cela son ambition ? Non, Jules, non ! Je ne peux l’accepter ! Chaque jour de votre vie, vous avez contribué à faire de la ganterie de Chaumont ce qu’elle est aujourd’hui : une manufacture puissante et respectée qui fait vivre une grande partie de la population, ici et aux alentours...

– Tout cela, je le sais, Esther...

– Il ne peut pas tout gâcher sur un coup de tête... Rendez-vous compte, mon ami, mettre à mal votre labeur pour intégrer la faculté de médecine ; c’est ridicule, ridicule...

– Calmez-vous. J’aurai une discussion avec notre fils. Je sais pouvoir compter sur lui, c’est un jeune homme intelligent, courageux et raisonnable.

– Alors pourquoi faire médecine ?...

– Il fera le bon choix…

– Je l’espère, Jules, je l’espère de tout mon cœur..., dit-elle en tenant la main de son mari dans la sienne. Votre père vous a légué un charbon et vous en avez fait un diamant. Il incombe à votre fils...

Notre fils, Esther...

– Il incombe à notre fils de s’en rendre digne et de faire de cette pierre un joyau ! C’est dans l’ordre des choses...

– La vie est-elle dans l’ordre des choses ? Cela serait si simple, répondit le directeur de la Fabrique un peu rêveur... Et puis, en y réfléchissant bien, Paul n’a jamais marqué d’intérêt réel pour notre activité. Le seul travail du cuir qui ait retenu son attention n’est pas le mien mais celui de mon ami René Wiener… (René Wiener (1855-1939), libraire, relieur et grand collectionneur lié à l’école de Nancy)

– Ah ! oui, je m’en souviens, cet israélite nancéien que vous fréquentiez il y a quelques années...

– Esther, ne parlez pas de lui ainsi. C’est vrai que je ne le vois plus depuis la mort de sa fille mais il reste et demeure à mes yeux un immense artiste qui a métamorphosé l’art de la reliure. En modeste artisan, je me contente de transformer le cuir ; René, quant à lui, le sublime, le magnifie... Il entraîne basanes et maroquins dans une féerie où règnent sans partage les cuirs estampés et vernis ainsi que les décors mosaïqués sertis par pyrogravure. Prenez conscience, ma chère, que du fond de son atelier du 53 de la rue des Dominicains à Nancy il a renouvelé en profondeur l’art d’habiller les livres et, en s’associant à nos amis Victor Prouvé et Camille Martin, il a donné à ces objets... une âme ! Ni plus ni moins ! J’ai moi-même l’honneur, comme vous le savez, de posséder dans ma bibliothèque quelques-uns de ses chefs d’œuvre, dont un qu’il m’a dédicacé et que Paul adorait caresser du bout des doigts quand il était petit : Le Gant et l’éventail de Bayard et Sauvage ; un maroquin exceptionnel où sont serties des paires de gants miniatures entrelacées d’éventails de couleur entre les deux silhouettes en or et en argent de Mathilde et d’Edgar, les héros de ce vaudeville. J’en connais par cœur la dédicace : “À mon ami Jules Trefandhéry, magicien ès gants”.

– Cessez de me parler de vos vieux bouquins quand il s’agit de l’avenir de notre fils ! s’exclama Esther, soudainement prise de colère.

– Tout cela pour vous dire que les seuls cuirs que Paul ait appréciés à ce jour sont ceux de Wiener et pas les miens !

– Il changera...

– Je l’espère tout autant que vous mais il a bien grandi ; c’est un homme maintenant !

– Justement ! Il est temps pour lui de devenir raisonnable et de prendre ses responsabilités ! Il est également temps pour notre cher Paul de songer à se fiancer. La petite Éloïse Barboint de Maugier me semble être un beau parti et puis ils se connaissent depuis longtemps maintenant.

– Il ne nous a jamais dit qu’il éprouvait pour elle un quelconque sentiment...

– Sa pudeur de jeune homme certainement. Et puis il n’a pas manifesté non plus le contraire... Vous cherchez à me contrarier aujourd’hui, mon ami, je le vois bien...

– Esther, faites-lui confiance. C’est tout ce que je vous demande... »

* *

*

Élise avait montré tout de suite une grande habileté dans la réalisation des ouvrages qui lui étaient confiés. Elle aurait aimé avoir elle aussi une Singer mais elle devait se contenter pour le moment de travaux de couture à la main. En quelques semaines, elle avait eu l’occasion de diversifier sa jeune expérience : réalisations de broderies simples, pose de perles ou de fantaisies sur des manchettes festonnées, exécution de nervures à double couture... Seule la mise en place de laçages l’avait un peu déconcertée au début mais elle était rapidement parvenue, avec l’aide de sa mère, à comprendre l’enchaînement complexe des opérations qui consistaient à entrecroiser tout en les cousant les étroites lanières dans la longueur du gant.

Valentine était fière de sa fille. Un matin, alors que les deux femmes vaquaient à leurs occupations habituelles, un commis de la ganterie vint frapper à la porte.

« Bonjour madame Fauconnier, balbutia avec timidité le jeune employé aux joues empourprées et à la diction hésitante. Madame Duplantier vous fait dire qu’elle vous attendra après-demain à dix heures dans son bureau de la Fabrique. Et votre fille aussi... »

Valentine resta coite, paralysée par la surprise autant que par la peur. Le jeune commis d’à peine douze ans marmonna quelques mots quasiment inaudibles puis quitta l’endroit sans demander son reste.

À n’en pas douter, cette démarche était annonciatrice de mauvaises nouvelles. Il ne s’agissait assurément pas de simples remontrances que l’entrepreneuse aurait pu formuler elle-même à l’occasion d’une de ses tournées. Et le fait de devoir se déplacer à la ganterie, lieu où Valentine n’avait pour ainsi dire jamais mis les pieds, était à soi seul de nature à l’inquiéter.

Que lui voulait encore cette femme ? Et pourquoi y associer Élise ? Tout cela ne lui disait rien qui vaille…

Elle tâcha de rassurer sa fille sur la nature de la convocation du surlendemain puis se remit à l’ouvrage. Elle aurait tout donné pour avoir la certitude que ses enfants connaîtraient un bonheur qui lui resterait à jamais étranger.

Elle ne voulait pas qu’ils éprouvent à leur tour ce qu’elle avait connu étant jeune. Originaires de Wasselonne, en Alsace, ses parents avaient choisi en 1871 de quitter ces terres germanisées pour s’installer du côté français de la frontière. Moins d’un an après la naissance de Valentine, sa mère fit un autre choix, celui d’abandonner mari et enfants pour découvrir de nouveaux horizons.

C’est ainsi que son père, Nicolas Burger, s’était retrouvé seul pour élever ses quatre rejetons. Il restait dans la mémoire de la mère d’Élise le souvenir du dévouement et de l’amour d’un homme pour son encombrante progéniture ainsi que le souci chevillé à l’âme de tout faire pour venir en aide à ses enfants, quelles que soient les vicissitudes de l’existence. Tout le contraire de Jean Fauconnier en somme...

C’est dire l’abîme de désespoir qui avait envahi le cœur de Valentine au départ de Lucien. Aujourd’hui, elle le savait en sécurité du côté de Bayel dans l’Aube. Il travaillait dans une cristallerie renommée et semblait avoir trouvé l’équilibre précaire qui lui faisait défaut au sein du foyer familial. Elle était lucide, même si elle ne voulait pas se l’avouer, et savait que son mari était à l’origine aussi bien de la fugue de son grand fils que de l’ambiance parfois délétère qui régnait Cour des Trois Rois. Et plus le temps passait, plus Jean Fauconnier se montrait odieux et irrespectueux envers les siens. De possibles difficultés avec la ganterie n’arrangeraient donc pas les choses...

* *

*

Jules Trefandhéry était plongé dans la lecture d’un journal spécialisé dans les métiers du cuir quand Walter signala sa présence par un discret raclement de gorge.

« Que Monsieur veuille bien pardonner par avance mon impudence mais je crois qu’il est de mon devoir de signaler à Monsieur qu’on aurait vu en ville son fils en étrange compagnie ces derniers temps… »

Le directeur releva les yeux d’un air interrogateur, les lunettes en équilibre sur le bout de son nez.

« Et qu’est-ce qu’une étrange compagnie, Walter ?...

– Disons, une personne qui ne serait pas du rang de Monsieur…

– Diable ! En voilà une affaire !... Soyez plus précis, mon ami !

– Monsieur Paul aurait été aperçu à plusieurs reprises avec une jeune fille des Vieilles Cours…, répondit Walter, aussi soucieux que s’il eût révélé un épouvantable secret de famille.

– Monsieur mon fils n’aurait-il donc plus le droit de se promener à sa guise ?

– Non, Monsieur, ce n’est pas ce que je voulais dire…, reprit-il, l’air contrit. À ce qu’il paraît, monsieur Paul et cette jeune personne se seraient intentionnellement revus ou croisés depuis plusieurs semaines…

– Ce n’est pas un crime à ce que je sache. D’aucuns iront imaginer qu’il vient enfin de se décider à courir la gueuse... Il faut bien que jeunesse se passe.

– La relation naissante dont je me permets de révéler l’existence à Monsieur est cependant plus sérieuse qu’il pourrait n’y paraître au premier abord…

– Vraiment ?...

– Je le crains, Monsieur… L’affaire est préoccupante…

– Allons donc, il n’y a point mort d’homme !...

– Non, bien entendu, Monsieur, mais je doute que Madame soit aussi conciliante que Monsieur…

– Ah, c’est donc cela !... Mais, dites-moi mon brave Walter, le plus embarrassant dans cette rumeur, c’est que Paul ait revu intentionnellement cette jeune fille ou ce sont les origines modestes de la donzelle ?...

– Monsieur me permettra de ne point répondre car je pense que Monsieur a soulevé la question qu’il fallait…

– Walter, Walter !... Ne nous laissons pas aller à la facilité du qu’en dira-t-on !... Dites-moi plutôt ce qu’il en est !

– Monsieur comprendra que mon seul souhait est d’avertir Monsieur contre toute rumeur malveillante qui pourrait entacher la réputation de son fils...

– Voyons, Walter ! Nous n’en sommes pas là ! s’exclama Jules Trefandhéry avec vivacité. On a encore un peu de temps devant nous avant de publier les bans ! osa-t-il en éclatant de rire. Et quelle est cette jeune personne qui alimente autant les potins chaumontais ?

– Il s’agit d’une jeune fille des Vieilles Cours qui s’appelle Élise Fauconnier et dont la mère travaille pour la Fabrique…

– Et pourquoi mon fils s’intéresse-t-il à cette fille ?...

– Elle est encore jeune mais, à ce qu’il paraît, elle serait tout à fait charmante, si vous me le permettez, Monsieur…

– Charmante comment ?...

– Disons au sens étymologique du terme. Une beauté du genre fascinante…

– Du genre fascinante ?

– Que Monsieur ne se méprenne ni sur ma démarche ni sur mon intervention. Cette jeune personne ne me dérange en rien…

– Je n’en attendais pas moins de vous, mon ami… Elle est donc si belle que ça ?...

– Je dirais plutôt qu’elle est charmante !... Captivante… Envoûtante d’ingénuité et de spontanéité. Il y a ses yeux aussi...

– Ses yeux ?

– Oui, il paraît qu’ils sont animés d’une lueur qu’on repère au premier regard. Avec des reflets qui vont du jaune sombre au brun rougeâtre…

– Mazette ! s’écria le directeur de la ganterie en reposant son journal ! En voilà un tableau ! Mais, vous, Walter, qu’en pensez-vous ?

– Mon opinion compte peu mais je puis concéder à Monsieur que cette jeune fille me paraît sincère et pure. Il y a chez elle, d’après ce que j’ai pu apprendre de sources sûres, un je ne sais quoi de grandeur d’âme en devenir…

– Vous voyez, Walter, ce que vous me dites-là ne m’étonne guère. Je connais mon fils et la médiocrité ne l’attirerait pas. C’est même tout le contraire à mon avis !... Alors si ces deux êtres se croisent ou s’aperçoivent régulièrement, intentionnellement pour reprendre votre terme…

– La rumeur, Monsieur, la rumeur…, ajouta Walter pour se justifier.

– La rumeur ! reprit Jules Trefandhéry. La vilaine chose et le vilain mot !... Le persiflage des envieux, voilà tout ! Si ces deux êtres se croisent, disais-je, c’est qu’ils s’apprivoisent… À leur manière… Laissons-les faire, Walter, et nous verrons ensuite où tout cela nous conduira. Walter, vous connaissez mieux que quiconque les origines de ma famille. Nous ne sommes pas de ces descendances nobiliaires d’antan ployant désormais sous les charges dorées que la République n’a pas voulu, ou pas su, abolir. Ni de ces baronnies napoléoniennes qui survivent de nos jours sous forme de rentiers improductifs et sans cervelle ! Je suis de ces générations qui se font toutes seules, par l’effort et l’innovation ! Jamais rien n’est acquis ni figé ! Mes millions, je les dois à mes ouvriers, je le sais mais sans moi ils seraient plus pauvres et surtout plus malheureux encore qu’ils ne le sont à l’instant où je vous parle… Eh bien les origines misérables de cette jeune fille ne me dérangent pas ! Au contraire ! Si mon fils lui trouve de l’intérêt, du charme, c’est qu’elle a plus de valeur que toutes les pimbêches endimanchées que leurs bigotes de mères essaient de jeter dans ses bras !... Faites-lui confiance, comme je lui fais confiance. Et faites-en de même pour cette mademoiselle Fauconnier ! Le temps lui permettra, si elle en est digne, de faire ses preuves… »

* *

*

Et merde ! s’écria le général Barboint de Maugier quand il vit que la souris lui avait encore échappé. Le coup de sabre était pourtant vigoureux, il n’était qu’à voir pour s’en convaincre l’entaille profonde qu’il avait provoquée dans le bois du parquet.

« Monsieur ne devrait pas s’énerver, j’ai mieux à lui proposer... »

Le général sursauta et se retourna vivement.

« Ah ! c’est toi, Mariette, je ne t’ai pas entendue venir...

– C’est tout l’intérêt de ces passages... »

Construite sous Charles X, la vaste demeure des Barboint de Maugier recelait de nombreux couloirs secrets aménagés par le grand-père du général dans les murs de la maison. Cette dernière aurait dû revenir en héritage à l’aîné de la famille, Louis-Amédée, mais celui-ci s’était brouillé avec son père à propos de l’affaire Dreyfus et était parti du jour au lendemain sans donner de nouvelle. Ce départ impromptu avait fait le bonheur et la fortune d’Alexandre-Stanislas, désormais seul maître en place.

« Tu as raison, je ne louerai jamais suffisamment leur existence... Au fait, tu me disais que tu avais quelque chose à me dire...

– Oui, je crois que la nouvelle petite bonne que Madame a embauchée ce matin devrait plaire à Monsieur... »

Le général humecta lentement de sa langue sa moustache tandis que ses yeux porcins brillaient d’une lueur trouble.

« Ah oui ?...

– Elle est un peu jeune mais la nature l’a bien pourvue...

– C’est vrai ?...

– Et en plus, elle est orpheline...

– Parfait, parfait, éructa le militaire en se frottant les mains. Décris-la-moi !

– Je vous l’ai dit, la nature l’a admirablement pourvue...

– À ce point ?...

– Je crois pouvoir l’affirmer à Monsieur...

– Foutredieu, il me la faut !

– Mieux vaut peut-être que Monsieur admire le fruit avant de le croquer ?...

– Tu as raison, Mariette, je m’emporte un peu vite... Que me proposes-tu ?

– Je vais voir ce que je peux faire..., dit-elle en assortissant sa réponse d’un sourire énigmatique et cruel.

– Quand ?

– Pas tout de suite car monsieur l’abbé Brûledeniers attend Monsieur au petit salon en compagnie de Madame...

– Ah, la belle affaire ! J’y vais mais viens me chercher si besoin...

– Les désirs de Monsieur sont des ordres... »

Mariette s’éclipsa par le passage de la boiserie aussi discrètement qu’elle était arrivée.

En passant la porte du salon, le général s’écria d’une voix forte :

« Ah, Monsieur l’abbé, quelle joie de vous revoir !... »

* *

*

« L’abbé Brûledeniers nous a fait l’honneur de sa visite, dit avec une jovialité de circonstance madame Barboint de Maugier à son mari. Nous devisions, lorsque vous êtes arrivé, sur la beauté de l’âme.

– Tout à fait, reprit l’abbé en posant sa tasse de moka sur la table basse du petit salon, et je disais à Madame votre épouse combien il m’était pénible de voir à quel point certaines valeurs comme la fidélité par exemple sont mises à mal de nos jours...

– Je partage complètement votre tristesse. Trop de gens aujourd’hui bafouent volontairement les bases mêmes de la morale, ajouta le général d’un air contrit et inspiré.

– Heureusement qu’il existe encore des familles qui savent défendre les vraies valeurs de la chrétienté, et la vôtre est un exemple qui devrait en faire méditer plus d’une...

– Nous n’avons pas de mérite, Monsieur l’abbé, nous suivons scrupuleusement l’un comme l’autre les enseignements de Notre-Seigneur et tâchons, bien modestement, de les mettre en pratique autant que faire se peut, ajouta le maître de maison.

– Voilà qui est bien parlé ! s’exclama l’épouse du général. Monsieur l’abbé, encore un petit biscuit ? »

Sans attendre une réponse qu’elle connaissait déjà, elle tendit à l’ecclésiastique l’assiette de porcelaine chinoise où étaient posés quelques gâteaux un peu gras. L’abbé en prit un et le porta à sa bouche, essuyant au passage ses doigts sur le rebord de sa soutane.

« Monsieur de Maugier, je disais à votre épouse que vous venez d’accueillir une de mes petites protégées de l’orphelinat. Je lui ai expliqué que c’était un grand honneur pour elle que de servir dans cette maison et qu’elle devrait s’en rendre digne. J’ai ajouté bien évidemment que la Vierge Marie veillait sur chacun de ses gestes et qu’elle ne saurait tolérer que votre réputation souffrît d’éventuelles incartades de sa part. En tout cas, n’hésitez pas à me signaler tout problème, je ne me pardonnerais pas d’avoir introduit sous votre toit une créature qui s’en révélerait indigne...

– Ne craignez rien, Monsieur l’abbé, ne craignez rien. J’aurai un œil sur elle... »

Avant même qu’il eut terminé sa phrase, Mariette frappa à la porte et murmura à l’oreille du général quelques mots.

– Monsieur l’abbé, je me vois contraint de devoir vous quitter : l’état-major me fait mander pour une affaire de la plus haute importance. Je vous confie à Madame mon épouse qui saura vous exprimer encore mieux que je ne le ferais toutes les belles merveilles que le respect de la vertu nous octroie... »

Sur ces mots, et après que l’abbé eut salué avec force révérences son hôte, le général sortit et regagna son bureau.

« Alors, Mariette ?

– Je lui ai fait nettoyer le conduit d’une cheminée au troisième, dans une pièce où personne ne va plus depuis longtemps. Et ce que j’avais prévu est arrivé : elle s’est couverte de suie en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire...

– Et donc ? s’exclama le général avec délectation.

– Et donc je viens de lui ordonner d’aller se laver dans la buanderie : elle y est en ce moment !

– Mariette, tu es une perle ! s’écria-t-il en disparaissant dans un des nombreux passages secrets qui parcouraient la bâtisse.

Arrivé sur les lieux, il fit pivoter une huisserie habilement dissimulée près d’une tenture et colla son œil à l’ouverture. »

Le spectacle auquel il assista le plongea aussitôt dans un  abîme de félicité : la jeune domestique se tenait à quelques mètres devant lui, debout dans un tub (cuvette basse permettant de prendre une douche)  de zinc, complètement nue.

Elle pressait de toutes ses forces une grosse éponge naturelle gorgée d’eau pour faire partir les minuscules particules de suie qui collaient à sa peau diaphane.

L’eau s’écoulait sur chacun de ses reliefs de chair, dévalant une épaule, parcourant un sein, glissant le long du ventre et des cuisses avant de rejoindre le tub. La jeune fille se pencha alors de nouveau pour imbiber d’eau son éponge, offrant involontairement au regard du général une croupe généreuse et offerte d’où s’échappait un discret buisson de couleur claire, ruisselant de gouttelettes d’eau.

Le vieux soudard eut du mal à se contenir mais parvint tout de même à regagner son bureau. Ses jambes tremblaient et son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Il lui fallait cette jeune fille, il lui fallait cette garce avant la nuit !

« Mariette ! Mariette ! s’écria le général, Mais qu’est-ce qu’elle fout celle-là ?... »

* *

*

En entendant retentir le carillon du beffroi de la Caisse d’épargne, Élise constata qu’il était encore en décalage avec celui de l’hôtel de ville. Heureusement, l’écart était faible et insusceptible de la mettre en retard à son rendez-vous. Pour une fois, elle avait relevé ses cheveux et les avait noués avec un ruban fleuri qui provenait d’une ancienne robe de sa mère.

D’habitude, elle ne sortait jamais la nuque dégagée. La caresse du vent dans les frisons qui s’échappaient de la masse retenue de sa chevelure ne lui déplaisait pas et lui octroyait d’une certaine manière une sensation nouvelle de liberté.

On était en avril 1914, la journée était belle et Élise allait retrouver Paul Trefandhéry au square du Boulingrin : tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, comme aurait dit Pangloss.

Plutôt que de se promener en ville, les deux jeunes gens optèrent pour une balade plus bucolique dans la campagne environnante, à distance des rumeurs et des jalousies. Le temps les y incitait et ils cheminèrent tranquillement sous le soleil en direction de la vallée de la Suize. Cet éloignement se justifiait aussi par le besoin de s’écarter de la ville. Si le fils du directeur de la ganterie se sentait prêt à braver les interdits ou les tabous de la société bien-pensante, il préférait éviter cependant les désagréments d’un scandale mondain. Le long du cours d’eau, Paul faisait découvrir à Élise les richesses de la flore et de la faune locales qu’elle ignorait. Plus jeune, il aimait herboriser en amateur dans ce val à deux pas de la cité.

Ils étaient si bien ensemble que leurs silences ne les gênaient pas. Quelques hérons abandonnaient momentanément des yeux les mouvements vifs des goujons pour regarder passer ces deux êtres, rayonnant de bonheur, entre les roseaux et les butomes à ombelles. Libérés du regard des autres, Élise et Paul auraient voulu que ces instants durent au moins un siècle.

Ils parlaient de tout et de rien, s’échangeaient des œillades lourdes de sens, sans oser aller plus loin et parvinrent chemin faisant jusqu’à une vieille chaumière délabrée et oubliée de tous.

« Je ne connaissais pas l’existence de cet endroit, avoua Élise.

– Moi non plus, répondit Paul, mais si vous le voulez, nous pouvons y entrer...

– Nous n’en avons pas le droit !

– Juste pour jeter un œil... »

Paul s’approcha de la porte vermoulue et tenta de la pousser. Il ne put l’ouvrir complètement et les deux amis durent se glisser dans l’entrebâillement de l’ouverture.

« Prenez garde à votre robe, ma chère... »

Élise se contenta de lui répondre par un regard chargé de promesses qui semblait lui révéler qu’il y avait sous cette robe un corps souple et moite que leur promenade avait rendu offert aux caresses. Elle n’avait jamais éprouvé pareil sentiment et n’avait pas la moindre idée de ce que ce mouvement intérieur irrépressible allait lui faire commettre mais elle avait l’étrange certitude qu’elle ne s’y opposerait pas...

À l’intérieur, la fraîcheur régnait. Une fine couche de paille recouvrait le sol de terre battue et la lumière pénétrait à peine entre les planches disjointes qui couvraient les fenêtres étroites. Avant d’aller plus loin, ils tentèrent de s’accoutumer à la semi-obscurité de cette masure au toit de chaume et aux cloisons à colombages de bois et de torchis.

En voulant faire un pas en avant, Paul trébucha dans une vieille corde qui traînait par terre et tomba sur le sol. L’instant de surprise passé, les deux jeunes gens furent pris d’un formidable fou rire qui leur fit venir les larmes aux yeux. Élise lui tendit la main pour l’aider à se relever, il la saisit puis se redressa mais ne la lâcha pas. Paul serra même un peu plus fort les doigts de sa compagne et, sans dire un mot, commença à se rapprocher d’elle. Leurs mains tremblaient et leurs visages étaient de plus en plus proches. À l’extérieur, les rossignols et les merles cessèrent soudain de chanter. Élise, sans s’en rendre compte, entrouvrait ses lèvres, prête à recevoir ce premier baiser tant attendu, quand, tout à coup, un fracas épouvantable mit un terme à ces instants délicieux.

Un sanglier affolé venait de faire irruption dans la chaumière, brisant au passage la porte entrouverte. Des brins de paille et un nuage de poussière volaient dans les rayons aveuglants du soleil, donnant à cette brusque apparition un aspect encore plus fantasmagorique. Une peur panique les envahit instantanément. Paul était glacé de frayeur tandis que le cœur d’Élise battait à tout rompre dans sa poitrine. Le souffle court, ils n’osaient plus se regarder et fixaient la bête.

Le suidé, quant à lui, balayait l’espace de son regard farouche, le boutoir en alerte et les soies frémissantes. Sa hure démesurée semblait chercher dans l’obscurité une présence humaine que ses canines inférieures recourbées auraient éventrée sans peine à la moindre alerte. Soudain, d’un rapide mouvement des jarrets, l’animal disparut comme il était venu. Quelques secondes passèrent…

Hébétés, les deux compagnons sortirent au grand air en se regardant, les yeux pleins de stupeur et d’incompréhension. Leur attention fut alors appelée par un autre bruit : quelqu’un appelait :

« Monsieur Paul, monsieur Paul...

– C’est Auguste ! Que fait-il là ?... s’exclama le jeune homme.

D’un bon pas, il alla à la rencontre du vieil homme, suivi par Élise, encore toute bouleversée par ce qu’ils venaient de vivre.

– Ah, monsieur Paul, je vous retrouve enfin ! Venez vite avec moi, ma calèche est un peu plus loin ! Monsieur votre père vient d’avoir un malaise, il s’est effondré en pleine réunion et Madame votre mère vous cherche partout... »

* *

*

Faussement distraite, Mariette époussetait les meubles du salon de musique, juste à côté du jardin d’hiver, à l’aide d’un plumeau en plumes de dindon. Les meilleures, paraît-il...

Marie-Uranie Barboint de Maugier lui tournait le dos, occupée à déplacer puis à replacer sans cesse de bien laids bibelots de Copenhague en porcelaine immaculée sur la longue console de poirier noirci, pur produit de l’anti-style Napoléon III. Les colombes prenaient la place des canards avant de céder la leur aux chats ou aux éléphants de toutes tailles.

« Madame ne parvient toujours pas à déterminer l’emplacement idéal pour ses collections ?

– Non, Mariette, mais je ne désespère pas d’y arriver un jour. Cela me donne un but dans l’existence... »

Mariette poursuivit ses tâches ménagères, cherchant le moyen d’amener la conversation là où elle le désirait.

« Si je puis me permettre, Madame, reprit Mariette, je pense que monsieur Paul Trefandhéry ferait un beau mari pour votre chère petite Éloïse...

– Voyons Mariette ! Vous devenez folle ma fille ! Que vous prend-il ? Bon, pour être tout à fait honnête, je dois reconnaître que vos propos ne sont pas dénués de sens, mais quand même... »

Mariette était parvenue à ses fins. Il ne lui restait plus désormais qu’à orienter habilement la discussion comme elle l’entendait.

« C’est un bien beau jeune homme...

– Je ne puis vous donner tort, Mariette, c’est un charmant jeune homme, distingué et très croyant. Mon mari serait là, il vous dirait combien la vertu et le respect des préceptes de la morale chrétienne sont des valeurs absolument essentielles pour l’équilibre du couple.

– Je n’en doute pas un instant, murmura la domestique avec un petit pincement au cœur…

– Éloïse et lui se connaissent depuis fort longtemps, je devrais peut-être l’inviter à dîner ces jours-ci...

– C’est tout de même bien dommage de le voir si souvent avec cette petite souillon..., ajouta Mariette en soupirant, tout en feignant d’accorder toute son attention au dépoussiérage d’une sellette à deux plateaux marquetés.

– Plaît-il ?

– Je disais qu’on voit beaucoup monsieur Paul en ce moment en bien étrange compagnie...

– Quels sous-entendus y a-t-il dans votre remarque, Mariette ?

– Aucun, Madame, aucun, je ne me permettrais pas, soyez en certaine... Je sais bien que monsieur Paul et cette créature se voient en tout bien tout honneur mais sa réputation pourrait en prendre ombrage à la longue...

– De qui parlez-vous à la fin ! s’écria madame de Maugier en reposant si fort un bibelot sur la console qu’il faillit voler en éclats.

– Mais de cette mademoiselle Élise, une souillon des Vieilles Cours qui travaille à domicile pour la Fabrique. Elle cherche sans vergogne à mettre son grappin sur ce pauvre monsieur Paul... Pas folle la guêpe...

– Je vous en prie !

– Son père est paresseux et alcoolique...

– Que voulez-vous, c’est un ouvrier...

– Moi, pour ce que j’en dis..., soupira la domestique. Madame ne s’en souvient plus mais Madame a rencontré cette jeune personne l’année dernière. »

La femme du général regarda Mariette avec une certaine circonspection.

« Elle est venue ici même, il y a un an environ, avec une autre jeune fille des Vieilles Cours, pour faire “tourner les tables”...

– Ah ! mon Dieu oui, je m’en souviens maintenant. J’avais invité madame de Vaux-Fontaine, ma cousine de Langres, et le directeur de l’entreprise de bitumes.

– Je la vois encore, reprit Mariette, vous faire installer autour du petit guéridon à trois pieds et vous faire poser à plat les mains dessus de manière que les petits doigts de chaque participant puissent se toucher... “Esprit, es-tu là ” ; “Réponds nous : un coup pour oui, deux coups pour non...” Du vrai théâtre !

– Ce n’était pas du théâtre, Mariette, la table se soulevait vraiment ! Ma cousine est même parvenue à dialoguer avec sa fille, morte il y a huit ans...

– Je veux bien vous croire, Madame, mais dans ce cas cette petite prétentieuse n’est rien d’autre qu’une sorcière...

– Vous avez raison, Seigneur Jésus, elle cherche certainement à ensorceler ce pauvre Paul... Nous ne pouvons pas la laisser faire ! Il nous faut agir au plus vite ! »

Au même moment, deux étages plus haut, la jeune orpheline nouvellement embauchée dans la maison sanglotait, à demi couchée sur le parquet, la jupe relevée et le corsage défait...

* *

*

« Dépêche-toi, nous allons être en retard ! répéta Valentine Fauconnier à sa fille.

– J’arrive tout de suite », répondit Élise en nouant un foulard autour de son cou.

Elles quittèrent prestement leur logement des Vieilles Cours puis traversèrent le square du Boulingrin pour regagner l’avenue Carnot. Une fois arrivées devant la haute grille, Valentine actionna le cordon de sonnette qui se trouvait sur le pilier droit de l’entrée, juste au-dessous d’une étiquette de cuivre indiquant « concierge ». Le métal brillait comme un sou neuf au soleil.

Adolphe Orloge ne tarda pas à paraître, les mains dans les poches de sa blouse et bougonnant on ne sait quelles récriminations...

– Oui, c’est pour quoi ? demanda-t-il sans ménagement.

– Bonjour Monsieur, je m’appelle Valentine Fauconnier et voici ma fille Élise. Nous avons rendez-vous avec madame Duplantier à dix heures.

– Bien, ne bougez pas, je vous appelle un commis. » Le concierge entrouvrit la grille et laissa les deux femmes pénétrer dans l’enceinte de la Fabrique. En passant sous le porche, et plus particulièrement sous l’enseigne « Trefandhéry et Compagnie », Valentine inclina instinctivement la tête et frissonna. Elle prenait en quelque sorte la posture des vaincus qui, dans l’Antiquité, étaient contraints de passer sous l’arc de triomphe érigé par leurs vainqueurs avant de connaître leur sort.

Un coursier vint à leur rencontre dans la cour et les interpella.

« Suivez-moi, madame Duplantier vous attend ! »

Élise serrait sa mère de près et, les yeux écarquillés, elle observait tout en marchant l’envers de ce décor qui rythmait sa vie depuis tant d’années. Ils pénétrèrent tous les trois dans le grand bâtiment central puis prirent des escaliers et des couloirs qui semblaient ne jamais devoir se terminer.

C’est cependant en traversant l’atelier des raffileuses et des fourchetières qu’Élise éprouva une grande fierté à se trouver là. Les couturières étaient assises de part et d’autre de longues tables de bois épaisses et massives où avaient été disposées des rangées de machines à coudre. Derrière chaque ouvrière se trouvait une patère fixée au mur où elles avaient suspendu qui un chapeau, qui un gilet, qui une étole. La pièce était borgne, ou du moins très peu éclairée, si bien que du plafond pendaient de nombreuses lampes à incandescence qui ressemblaient à des araignées géantes descendant au bout de leur fil, en suspension au-dessus des machines.

L’atmosphère était laborieuse ; le bruit régulier et incessant des pédaliers, des roues et des courroies engendrait un ronronnement auquel les couturières étaient tellement habituées qu’elles n’y faisaient plus attention.

En passant, Élise aperçut un écriteau de couleur bleu, cloué au mur : « Défense de bavarder : c’est en bavardant que l’on fait du mauvais travail ». La consigne était claire et, apparemment, respectée.

Il n’y avait que des femmes dans l’atelier de couture, à l’exception d’un contremaître à l’autre bout de la pièce qui portait sur un registre placé devant lui toutes les indications liées à la répartition et à la réalisation de la besogne. Ce scribe des temps modernes, trop occupé à ne négliger aucun détail, ne fit nullement attention aux deux visiteuses qui suivaient le coursier.

Élise esquissa un sourire en apercevant à proximité des tables deux nourrissons qui dormaient paisiblement dans des paniers en osier de Fayl-Billot, à côté du poêle, et que le bruit régulier des machines ne semblait pas déranger outre mesure. Bien au contraire. Valentine ne les vit pas, tant elle était inquiète et tendue.

Quelques-unes des couturières jetèrent un œil à ces deux nouvelles venues mais aucun sourire de connivence ou de sympathie ne put se lire sur les visages. Elles étaient là pour travailler, un point c’est tout. Ni plus, ni moins.

Le coursier s’arrêta devant une porte en verre dépoli, se retourna et leur dit :

« C’est là ! » Puis il disparut sans autre commentaire.

Valentine toqua. Sa main tremblait.

« Entrez ! » s’écria à l’intérieur une voie aigre et sèche.

Durant tout l’entretien, Marguerite Duplantier resta debout derrière un petit bureau tandis qu’elle avait fait asseoir sur deux chaises en face d’elle Élise et sa mère. Elle pouvait ainsi les regarder de haut...

« Je n’irai pas par quatre chemins », leur dit l’entrepreneuse avec sévérité, tout en croquant un grain de café. Elle faisait toujours ainsi pour purifier son haleine.

Votre mari, madame Fauconnier, colporte régulièrement des bruits diffamatoires sur la Fabrique. De plus, en toute honnêteté, comment voulez-vous que monsieur Trefandhéry puisse accorder sa confiance à la famille d’un voleur et d’un ivrogne ?

Valentine gardait le regard baissé vers le sol, à l’image d’un enfant à qui on reprocherait une bêtise.

« Vous comprendrez que, sans remettre en cause la qualité de votre travail qui est, disons-le, correcte, le comportement de votre mari vous devient de plus en plus préjudiciable, autant qu’il l’est à l’égard de la ganterie ! En un mot, la direction ne saurait tolérer plus longtemps cette attitude ! Soit ces agissements cessent, soit vous irez chercher du travail ailleurs ! Et croyez-moi, avec la recommandation que je pourrais vous faire, il vous faudrait parcourir un certain nombre de kilomètres pour gagner votre pitance et celle de vos enfants ! Laissez-moi maintenant, j’ai du travail ! »

Valentine et sa fille quittèrent alors la pièce, blêmes et résignées. Au moment où Élise passait le pas de la porte, et sans que Valentine ne s’en aperçoive, Marguerite Duplantier la retint par le bras :

« Quant à toi, sale petite mijaurée, abstiens-toi de revoir le fils du directeur ou tu auras de mes nouvelles !... »

Elle serra si fort le bras de la jeune fille que sa peau en conserva la marque pendant des heures...

* *

*

Depuis quelques mois, les manœuvres du 109e régiment d’infanterie se faisaient plus régulières. Il ne se passait pas une semaine sans qu’un ou plusieurs détachements allassent s’entraîner dans la campagne chaumontaise.

Ce matin-là, un bataillon descendait la côte de Buxereuilles, le long du champ de courses. L’ambiance était stricte mais joyeuse dans les rangs. Un peu plus bas, à la hauteur du carrefour de la route de Saint-Dizier, l’Archipel, Pue la m… et Queue d’argent devisaient paisiblement à l’ombre d’un gros saule centenaire.

« Ce qui me dérange le plus avec ces jeunes soldats, c’est la joie qu’ils manifestent à arborer leur fusil, soupira Queue d’argent.

– Que veux-tu, Trou d’aiguille, ils ne savent pas que la mort est au bout du chemin…

– Ils sont jeunes encore, répondit Pue la m…

– Ils devraient pourtant le savoir, reprit le premier avec un geste de la main...

– Ce n’est pas cela qu’ils voient...

– Et que voient-ils dans leur condition de soldat ? dit Queue d’argent à l’Archipel.

– Ils y voient le prestige des épaulettes, les virées avec de bons compagnons et les filles..., répondit le clochard.

– Pas faux, pas faux... », répéta Pue la m…, l’air songeur.

À cet instant, les militaires passèrent devant eux. L’Archipel les observa et fut surtout étonné par leur jeunesse. Un flot de tristesse le submergea aussitôt. Il se rappela alors avec douleur qu’il avait connu une femme, il y a très longtemps, fraîche de la même jeunesse, et que cette femme était enceinte de lui au moment où elle l’avait quitté. Avait-elle conservé l’enfant ? Celui-ci avait-il survécu ? Il eut un tiraillement au cœur en songeant qu’il devait avoir dans les vingt et un ans aujourd’hui, le même âge que ces jeunes gens insouciants, fusil sur l’épaule et moustaches guillerettes.

En voyant le regard de leur compagnon s’assombrir, Pue la m… et Queue d’argent comprirent que de tristes pensées venaient encore de traverser son esprit. Le premier se redressa avec peine, épousseta son grand manteau et s’adressa à ses compères en ouvrant les bras :

« Messieurs mes amis, laissons-nous guider par la dive bouteille... »

* *

*

Sur le chemin du retour, Élise et sa mère gardèrent le silence. La peine de Valentine était partagée par sa fille mais cette dernière pensait surtout aux dernières paroles proférées par madame Duplantier.

Ainsi, on lui interdisait de revoir Paul. Etait-il au courant de ce qui se passait ? Représentait-elle à ce point un danger pour qu’on voulût la mettre à l’écart ?

Elle en était encore à échafauder mille hypothèses plus sinistres les unes que les autres quand sa mère poussa la porte du logis.

« Ne dis pas un mot de tout cela à ton père, dit Valentine en se retournant vers Élise.

– Mais Maman, tu as bien entendu madame Duplantier, le comportement de Papa porte préjudice à la Fabrique... et il va nous attirer des ennuis !

– Ne lui en parle pas, je m’en chargerai... »

Élise connaissait le degré de confiance qu’elle pouvait accorder à ce genre de propos. Elle savait que sa mère n’oserait jamais interpeller son père sur son attitude. Elle acceptait tout de cet homme égoïste depuis presque vingt ans. Ce n’était pas aujourd’hui qu’elle commencerait à lui faire des reproches...

De toute manière, elle en avait peur, une peur infondée mais efficace sur laquelle il reposait toute son ascendance au sein de la cellule familiale.

Élise prit donc la décision de lui en parler elle-même dès qu’il rentrerait.

Un peu avant l’heure du souper, la clenche de la porte grinça et Jean Fauconnier apparut enfin. Personne ne savait où il avait passé la journée. Il alla s’asseoir directement à la table sans saluer personne et s’écria « J’ai faim ! ».

« Le repas est prêt, je le sers tout de suite », répondit Valentine avec empressement.

Cette soumission absolue révoltait Élise au plus profond d’elle-même.

« Papa, écoute-moi, nous avons été convoquées aujourd’hui, Maman et moi, à la Fabrique par notre entrepreneuse.

– Faites du travail correct et vous n’aurez rien à vous reprocher ! se contenta-il de répondre sans même regarder sa fille, le visage penché à quelques centimètres seulement de l’assiette de soupe dont il prélevait de larges cuillères avec d’épouvantables aspirations sonores.

– On a été convoquées à cause de toi ! répondit Élise avec courage. Nous risquons de perdre notre travail à cause de ton comportement et de ta réputation... »

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase. Fou de rage, les yeux haineux et les mâchoires serrées à s’en briser les dents, Jean Fauconnier abattit son poing sur la table avec toute la force qu’aurait mis un maréchal ferrant à battre au maillet une pièce rougie au feu.

« Que me dis-tu ? Saleté vivante ! Ordure ! vociféra-t-il sans retenue. Vous me faites honte, pourriture de femelles ! » Il se leva alors brusquement de table et attrapa Émile par le bras, l’arrachant ainsi de sa chaise.

« Viens mon gars, on va se promener entre hommes... » Voyant qu’il résistait, il rajouta en le traînant derrière lui :

« T’inquiète pas, gamin, les bonnes femmes ça n’a pas leur mot à dire !... »

Puis ils disparurent tous deux aussitôt.

Valentine, Élise et Eugénie étaient sous le choc. Aucune n’avait eu la force de réagir. Elles l’avaient laissé emmener le jeune garçon sans l’en empêcher...

Quand elle fut remise de son émotion, Valentine se voulut rassurante :

« N’ayez crainte, il ne lui fera pas de mal. Ils vont vite revenir... »

Vers minuit, l’inquiétude commença à s’installer.

« Allez vous coucher, les filles, je vais les attendre. Ils ne devraient plus tarder maintenant », ajouta Valentine.

Malgré la crainte chevillée au cœur et l’angoisse qui les rongeait doucement, Eugénie et Élise finirent par s’endormir. Il était à peine six heures du matin quand l’aînée s’éveilla en sursaut. Elle se leva d’un bond et aperçut sa mère endormie, encore assise sur la chaise de la cuisine.

« Où sont-ils ? » lui demanda-t-elle en la secouant légèrement pour la réveiller.

En voyant ses yeux rougis, elle comprit qu’ils n’étaient toujours pas rentrés.

Son père était habitué aux escapades ponctuelles mais la présence du jeune Émile compliquait les choses. Où avaient-ils bien pu aller ? Quelles étaient ses intentions ?

Ces questions revenaient sans arrêt dans l’esprit des deux femmes, un peu comme ces insectes qui tournent autour d’une lampe allumée dans la nuit et qui se cognent sans cesse au verre sans jamais parvenir à approcher la source lumineuse.

Dans la matinée, Élise décida d’aller voir dans chacun des cafés du quartier.

« Je ne peux pas le laisser seul avec lui ! Dieu seul sait ce qu’il serait capable de lui faire... »

Elle entama sa tournée la peur au ventre. Dans chaque estaminet où elle rentrait, elle était accueillie par l’indifférence des uns ou par les regards égrillards, déjà embrumés par l’alcool, des autres. Elle ne trouvait aucune trace des fugitifs.

Elle commençait à désespérer. Élise poussa donc ses recherches jusqu’à l’opposé de la ville dans l’espoir que son père et son frère s’y soient réfugiés. Ses pas finirent par la conduire au Café Bellevue, un peu après le marchand de charbon de bois du pont des Flâneurs.

Là, par chance, un dénommé Gaston vidait un énième petit verre de blanc pour se donner le courage d’affronter une journée qui s’annonçait pareille aux autres. Elle le reconnut aussitôt : il avait travaillé il y a quelques années chez un marchand de vin avec Jean Fauconnier avant d’être mis à la porte l’un comme l’autre pour des raisons qu’elle avait oubliées.

Gaston écouta avec beaucoup d’attention le récit passionné de la jeune fille. Quand elle eut terminé et qu’elle attendait avec fébrilité une réponse positive à la question toute simple qu’elle avait posée : « Monsieur, avez-vous vu mon père et mon frère ? » il se tourna vers la salle, le visage fermé l’espace d’un instant, puis partit d’un énorme éclat de rire, gras et communicatif.

Élise sortit sous les rires et les quolibets.

En rentrant, elle raconta à sa mère son désespoir et ses recherches infructueuses. Elle pleurait tout en parlant. Jamais son père ne s’était absenté aussi longtemps.

« Pourvu que madame Duplantier n’apprenne rien... », soupira Valentine en serrant sa fille contre sa poitrine.

* *

*

« Tout cela ne me dit rien qui vaille, Walter... », fit Jules Trefandhéry en reposant son journal sur une table basse.

Walter acquiesça de la tête et lui tendit une tasse fumante.

« Il est l’heure pour Monsieur de prendre son médicament. »

Depuis son malaise cardiaque, Jules Trefandhéry était l’objet de tous les soins de ses collaborateurs. L’alerte avait été sérieuse même si le directeur de la Fabrique s’efforçait d’en minimiser l’ampleur.

« Walter, je te parle de la marche du monde et tu me réponds potion médicale...

– Que Monsieur me pardonne mais la santé de Monsieur me préoccupe davantage que celle du monde...

– Tu as tort, Walter, tu as tort... À toi, je peux l’avouer : je suis inquiet de la tournure que prennent les événements internationaux ces jours-ci.

– Monsieur veut certainement parler de cet assassinat perpétré hier à Sarajevo...

– Oui, Walter, il ne faut pas sous-estimer l’assassinat par un fou ou un illuminé de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie et de son épouse, la duchesse de Hohenberg. Au-delà de l’horreur du geste, je crains que ce crime n’avive un peu plus la plaie sanglante des nationalismes qui ne parvient plus à se refermer depuis plusieurs années... Les velléités belliqueuses des uns trouvent un écho dans celles des autres et, en ce domaine, la surenchère est classique : d’abord course à l’armement puis incident diplomatique et enfin... la guerre !

– Monsieur est un fin stratège, mais en l’occurrence il ne s’agit que d’un problème entre Slaves. Le risque existe mais il est lointain...

– Détrompe-toi, Walter. L’assassinat de François-Ferdinand, tout prince d’opérette bedonnant qu’il était, arrive au plus mauvais moment : nous sommes liés les uns aux autres par un jeu complexe d’alliances et de contre-alliances, officielles ou secrètes. Tous les pays d’Europe sont concernés : l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie, l’Angleterre, la France bien sûr mais aussi l’Italie, la Serbie... que sais-je encore !

Depuis que nous n’avons plus d’autres territoires coloniaux à conquérir, la volonté de puissance des nations va revenir s’épancher sur nos belles contrées, et là, je ne donne pas cher de notre tranquillité...

– Monsieur m’inquiète car Monsieur voit toujours juste..., ajouta Walter en reprenant la tasse vide.

– J’espère néanmoins me tromper, c’est même mon vœu le plus cher...

– Sans compter qu’un conflit aurait inévitablement des répercussions sur l’activité de la Fabrique...

– Je n’ose même pas y penser... Les hommes partiraient se battre, les capitaux seraient engloutis par l’armée et les marchés fermeraient les uns derrière les autres. Un vrai cauchemar...

– L’avantage du cauchemar, Monsieur, c’est qu’il reste un rêve et rien d’autre...

– Tu as raison, Walter, nous prierons pour que la raison des hommes l’emporte sur leur folie...

– Puissiez-vous être écouté, Monsieur... », ajouta Walter, un sourire un peu crispé aux lèvres.

* *

*

Aux Vieilles Cours, l’attente dura toute une journée et toute une nuit supplémentaire. Ce n’est que le jour suivant, un peu après l’aube, que quelqu’un frappa à la porte. Une ouvrière de la Cour du Billard, que les Fauconnier connaissaient depuis fort longtemps, s’était déplacée pour apprendre à Valentine que son mari avait été retrouvé noyé dans le canal, à proximité du Val des Choux. Elle avait été prévenue par son frère qui travaillait à la maréchaussée de Chaumont.

Élise et Eugénie soutinrent leur mère qui, sans feinte aucune, crut défaillir...

L’ouvrière n’avait en revanche aucune information à propos d’Émile. Elle savait simplement que Jean Fauconnier avait été retrouvé un peu avant cinq heures ce matin dans le canal.

Valentine ordonna à ses filles de rester à la maison pendant qu’elle descendait au Val des Choux.

« Ce n’est pas un spectacle pour vous, mes pauvres chéries... »

 

* *

*

 

« Mon Dieu, dans quelle époque vivons-nous ? s’écria madame Barboint de Maugier au moment même où le général pénétrait dans son boudoir.

– Que vous arrive-t-il, ma chère ? demanda-t-il avec amusement.

– La petite bonne...

– La petite bonne ?

– Mais si, vous savez, la petite orpheline que j’ai prise comme domestique en avril dernier... Une enfant un peu effacée mais qui ne rechignait pas au travail...

– Eh bien ?

– Eh bien, je l’ai congédiée ce matin ! Figurez-vous que cette petite cruche s’est retrouvée enceinte ! Comment vouliez-vous que je la garde sous notre toit ? Je ne la comprends pas, j’ai été comme une mère pour elle, je lui ai tout de même offert la possibilité de servir dans une maison comme la nôtre ! L’ingrate !... Vous rendez-vous compte, mon ami ? Nous offrons à cette pauvre âme un foyer de haute tenue morale et la voilà qui s’engage aussitôt dans les voies sans issues du péché ! Elle ne peut s’en prendre qu’à elle...

– A-t-elle dit qui était le père ? » demanda le général en fixant l’horizon par la fenêtre devant lui. Un voile d’inquiétude sembla recouvrir soudainement son regard.

« Bien sûr que non, pourquoi voudriez-vous qu’elle l’eût fait ? »

Le général eut une hésitation...

« Eh bien, pour mettre ce godelureau devant ses responsabilités !...

– Vous êtes trop pur pour comprendre de tels comportements, Alexandre-Stanislas. Et peut-être un peu trop naïf aussi... Cette petite ne sait même pas qui l’a mise dans cet état... Ce n’est pas l’oisiveté qui est mère de tous les

vices, croyez-moi mon ami, c’est la pauvreté, la pauvreté et elle seule. La preuve ! Pour des créatures de son espèce, la morale n’est que peu de chose. Et c’est dommage car elle travaillait bien...

– C’est bien triste, reprit le général.

– Oui, bien triste, reprit son épouse. Mais n’en prenez pas ombrage pour autant. Elle a eu ce qu’elle méritait ! À elle maintenant de se débrouiller dans la vie avec son encombrant bagage...

– Le Seigneur ne vient en aide qu’à ceux qui savent s’en rendre dignes...

– Comme vous avez raison, mon ami... Allons, ne pensons plus à cette petite sotte, elle finit par m’ennuyer... »

* *

*

« C’est là, un peu plus loin... »

L’homme de la maréchaussée désigna du doigt un petit attroupement. Plusieurs personnes discutaient à côté d’un corps allongé sur l’herbe, le long du chemin de halage.

Valentine se présenta à l’un des individus qui barrait le passage.

« Laissez passer, c’est la veuve ! » s’écria-t-il quand elle eut décliné son identité.

Elle était impressionnée autant par la raison de sa présence en cet endroit que par les uniformes qui s’agitaient autour d’elle.

Un petit homme vêtu d’un long imperméable et d’un chapeau melon de couleur sombre lui fit signe d’avancer. Elle le rejoignit, soutenue par sa voisine qui trouvait là de quoi alimenter les conversations d’au moins une semaine entière dans le quartier.

« Madame Fauconnier ?

– Oui, Monsieur...

– Reconnaissez-vous le défunt ? » poursuivit-il en désignant avec mépris, du bout de sa chaussure cloutée, le corps allongé.

Valentine respira un grand coup avant de baisser les yeux vers le sol.

Sur le moment, elle ne reconnut pas l’inconnu étendu sur l’herbe. Ce n’était assurément pas l’homme avec qui elle vivait depuis plusieurs années.

Puis, l’effet de surprise s’étant dissipé, elle commença par trouver quelques ressemblances avec son mari...

« Regardez bien Madame avant de répondre, reprit l’homme.

– Oui, c’est bien lui », répondit-elle en étouffant un sanglot qui lui barrait la gorge. Elle en était certaine maintenant. Il y avait pourtant une dissemblance profonde entre l’image qu’elle conservait de lui et celle de ce cadavre. La mort l’avait saisi, violente et impitoyable. On lisait sur ses traits comme une surprise, un étonnement ultime.

Elle jeta un dernier regard à ce visage tuméfié et cyanosé. Ses lèvres étaient béantes et gonflées, découvrant quelques dents de la mâchoire inférieure, tandis que ses yeux, grands ouverts et étrangement saillants, semblaient fixer un infini éternel à jamais inaccessible.

Étouffant un nouveau sanglot, elle se tourna vers le policier.

« Monsieur, avez-vous des nouvelles de mon fils ?

– J’y venais, madame Fauconnier, répondit l’homme avec un flegme que l’on ne prête habituellement qu’aux Britanniques ou aux très hauts fonctionnaires français dénués de tout sens commun.

Il est un peu... étrange, n’est-ce pas ?

– Disons que ce n’est pas un garçon comme les autres...

– Ne craignez rien, il est sain et sauf... »

Valentine fut alors prise par une intense crise de larmes.

Quand elle retrouva son calme, le représentant de l’ordre lui expliqua qu’Émile avait été retrouvé dans une cabane de jardin du Val des Choux, à quelques dizaines de mètres du lieu de la noyade, affaibli mais en bonne santé. Sa présence avait été signalée par trois clochards qui l’avaient rencontré, hagard, sur le chemin de halage et qui l’avaient conduit ensuite dans cette baraque de planches où la police l’avait recueilli.

Que faisaient ces trois hommes à cet endroit de si bon matin ? Émile avait-il une part de responsabilité dans la mort de Jean Fauconnier ? Où le père et le fils avaient-ils passé ces deux jours ? Autant de questions qui resteraient à jamais sans réponse.

Ce n’est que le lendemain qu’Émile put regagner l’appartement familial. Il y fut accueilli par sa mère et ses sœurs dans d’ineffables débordements de joie et de tendresse.

L’enterrement de Jean Fauconnier eut lieu le jour suivant.

En dehors de Valentine et de ses enfants, personne ne suivit le corbillard. Averti on ne sait trop comment, Lucien y assista également.

Au moment de la mise en terre dans la fosse commune du cimetière de Saint-Aignan, pas très loin du Val des Choux, et après quelques brèves paroles marmonnées par un prêtre pressé de repartir, Élise se contenta de jeter dans l’excavation où s’ébattaient de nombreux vers de terre roses et gras, le bouquet de fleurs qu’elle tenait à la main. Elle ne versa pas une larme...

Juste avant son départ, Lucien embrassa les siens et demanda à sa sœur de veiller sur Émile. Il ne s’expliqua pas davantage. Contre toute attente, et malgré le terrible drame qu’il venait de vivre, le jeune garçon semblait heureux et apaisé...

 

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