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Les livres de Jérôme Thirolle
10 mars 2016

La mort dans l'âme...

Quid PhotoJT

Le boiteux du parc Sainte-Marie (Editions Gérard Louis) : suite...

23 octobre 2008

François Larosière n’eut aucune difficulté à trouver Yvon Ploumanac’h dans la grande salle de lecture de la Bibliothèque Municipale. Il faut dire que sa silhouette ne passait pas tout à fait inaperçue. Un mètre quatre-vingt-treize, une corpulence de bûcheron canadien et une barbe de patriarche pour compléter l’ensemble. Sans compter une épaisse chevelure rebelle à la domestication retenue péniblement par un catogan de soie.

— Bonjour Yvon ! Comment vas-tu ?

— Tiens, François, bonjour, quel bon vent t’amène ?

— J’ai besoin de ton aide.

— Je t’écoute, répondit-il avec un apparent sourire de satisfaction sur les lèvres. Je repose ces ouvrages et je suis à toi tout de suite.

Le colosse s’éloigna de quelques mètres, déposa deux ou trois livres sur un bureau et y glissa des fiches cartonnées perforées tout en donnant des consignes précises à un magasinier chargé de les réceptionner.

— Vous en êtes toujours au temps des fiches et des petits trous ? demanda François avec surprise.

— Tu rigoles ! C’est pour le décorum ! Non, sérieusement, nous avons enregistré presque tous les fonds mais il reste encore des ouvrages qui y ont échappé. On a répertorié et indexé informatiquement plus d’un demi millions de livres. Et chacun avec un code barre ! Plus besoin de tampon dateur ! On sait avec précision qui a emprunté quoi à n’importe quel moment. Même les portiques de sécurité à la sortie sont capables de détecter le code ! Tu ne peux pas savoir à quel point nos recherches en sont simplifiées.

— C’est une bonne chose. Avec un petit côté Big Brother en plus, mais une bonne chose tout de même.

— Disons que pour la qualité de service, on s’approche du top. Sinon, ça avance ton boulot ?

— Vaste entreprise que celle-ci ! s’exclama François en prenant la pause…

— Je sais, je t’ai vu l’autre jour à la télé.

— Les pièces du puzzle commencent à s’emboîter de plus en plus.

— Mais tu disais que tu avais besoin de moi ?

— Oui, voilà : en marge de l’organisation du Centenaire proprement dit, je voudrais mettre en valeur soit des petits faits divers, soit des trucs qui pourraient intéresser le public.

— Là aussi, vaste entreprise…

— J’ai une piste que je voudrais pouvoir explorer un peu.

— Dis toujours.

— Il me faudrait des articles de journaux de 1909 qui traitent de l’assassinat d’un bijoutier.

— Attends, je prends mon calepin. Tu sais, à mon âge, la mémoire…

— Il s’appelle Hector Boulier. Il a été tué fin avril 1909 et on lui a volé un gros diamant qu’il devait présenter à l’Expo.

— C’est tout ?

— Je sais, c’est un peu maigre mais je n’ai pas grand-chose de plus.

— Bon, ça devrait suffire. Ça va prendre plus de temps que pour un livre. Comme je te le disais, depuis que les références de ces derniers sont enregistrées informatiquement, on trouve tout très vite. Pour les journaux, c’est une autre histoire.

— Vraiment ?

— Il n’y a qu’une technique : le paluche-processing ! Autrement dit, il faut que je me tape tous les Est Républicain de la période à la main...

— Je peux t’aider si tu veux.

— Non, c’est sympa mais c’est mon boulot après tout. Et puis retrouver le contact du papier, de l’encre et de la poussière, ce n’est pas fait pour me déplaire. A force de travailler sur écran avec des claviers, on finit par oublier que ce sont des livres que nous avons en rayon. Mais bon, ne nous plaignons pas, c’est l’évolution qui veut ça ! Disons que dans les bibliothèques, on est passé des souris à quatre pattes à celles qui pendent au bout d’un fil. C’est peut-être ça le progrès.

— Les dégâts ne sont pas les mêmes.

— Tout juste ! s’écria Yvon Ploumanac’h en éclatant de rire. Allez, retourne chez toi et reviens demain à dix heures, on verra ce que j’aurai trouvé.

En sortant du bâtiment, François éprouva l’envie de faire une pause. C’était la première fois depuis plusieurs jours qu’il avait un “trou” dans son emploi du temps. La charge de travail qui l’attendait justifiait à elle seule qu’il filât dare-dare à son bureau mais il ressentait le besoin de goûter à un instant de calme et de repos. Il se serait bien vu prendre un verre dans un café mais il n’avait pas tellement envie d’y aller seul. Tout en marchant, ses doigts jouaient avec son portable dans la poche de sa veste. Il lui aurait suffi d’un simple mouvement du bras pour saisir le téléphone et taper les dix numéros d’un ami. Mais lequel ? Il se posta donc au carrefour des rues Stanislas et de la Visitation puis ferma les yeux. Il attendit que le bruit de moteur d’une voiture lui signalât le passage du feu au rouge et décida de se servir des lettres de la plaque minéralogique pour faire son choix parmi toutes les initiales de son répertoire. Quelques dizaines de secondes plus tard, le vrombissement ralenti d’un véhicule l’avertit que les voitures étaient à l’arrêt. Il ouvrit les yeux et se trouva face à un Scénic Renault de couleur absinthe. A choisir, il aurait préféré une Bentley décapotable mais on en voyait tout de même moins dans les rues de Nancy que les berlines marquées du losange. CMH 54 ! Le signe du destin était sans ambiguïté : CMH ! Cécile Mesnie-Hellequin ! La providence lui suggérait d’appeler l’employée du musée de la rue Blandan pour boire un verre…

— Le sort en a décidé ! se dit François avec une soudaine bonne humeur. La perspective de partager un peu de temps avec elle le séduisait. C’était un peu comme s’il avait toujours su que le hasard la désignerait. Par chance, le numéro du musée était mémorisé sur son portable. Il se réfugia quelques mètres plus loin à l’abri d’une porte cochère et l’appela.

— Bonjour, musée de l’Ecole de Nancy, Murielle à votre service.

— Bonjour Madame, j’aurais voulu parler à Cécile Mesnie-Hellequin de la part de François Larosière…

— Ne quittez pas Monsieur Larosière, je vais voir si elle est disponible.

Elle n’avait pas terminé sa phrase qu’une musique d’attente se déclencha. François reconnut Les Fossiles du Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns. Sept mesures plus tard, l’interlocutrice reprit l’appel.

— Monsieur Larosière, excusez-moi pour cette attente. Je suis désolée mais Madame Mesnie-Hellequin est absente aujourd’hui. Voulez-vous que je lui laisse un message ?

— Dites-lui simplement que j’ai appelé.

Il mit fin à la conversation avec un goût amer dans la bouche. Son absence le dérangeait car il ne s’y attendait pas. Où pouvait-elle bien être ? En pleine semaine en plus ! Et surtout avec qui ? Il n’aurait pas été inconcevable que cette charmante jeune femme ait pris une journée de congés avec l’homme de sa vie. D’un autre côté, si elle en avait eu un, elle lui en aurait certainement déjà parlé. Le poète disait vrai : un seul être vous manque et tout est dépeuplé.

Il ne lui restait donc plus qu’à retourner au bureau, la mort dans l’âme…

à suivre...

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