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Les livres de Jérôme Thirolle
22 août 2017

Chapitre 8 Paris, un peu avant l’été

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Paris, un peu avant l’été

Le choix annuel d’une destination estivale, sacro-saint principe égalitaire et républicain depuis le souvenir mythique du Front Populaire et de ses non moins célèbres congés payés, reste toujours une épineuse question qui a la fâcheuse tendance à crisper ceux qu’elle concerne plutôt qu’à les réjouir. D’autant que le dilemme, pour traditionnel qu’il soit, revient chaque année comme une question lancinante et pernicieuse : hôtel ou location ? Studio ou résidence ? France ou étranger ? Mer ou montagne ? Littoral ou arrière-pays ? Méditerranée ou Atlantique ? Farniente ou circuit découverte ? Le courage et la prise de décision étant plutôt répartis inégalement au sein d’un couple, la résolution de ces énigmes domestiques revient la plupart du temps à madame. Les sondages et les études sociologiques sont là pour le démontrer.

Et il n’en allait pas différemment chez les Louvrier. Victoire s’était toujours occupée de choisir leur lieu de vacances, et heureusement serait-on tenté de dire, car si elle avait compté sur Richard et sur lui seul pour s’en charger, ils ne seraient pas partis souvent.

Quoi qu’il en soit, elle proposa à son conjoint un peu avant l’été de chercher une villégiature sympa du côté de Carcassonne.

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La proximité du chef-lieu de l’Aude avec le petit village de Rennes-le-Château ne lui avait pas échappé mais il avait préféré se taire et ignorer le subterfuge de sa compagne pour ne pas créer une fois encore un incident qui les aurait éloignés un peu plus l’un de l’autre. Il était fatigué, à la fois des recherches qu’elle avait entreprises autour de ce curé mystérieux et, plus surprenant, du contexte professionnel qui était le sien en ce moment au sein de sa banque. Une grande lassitude à la fois physique et mentale s’emparait peu à peu de lui au fur et à mesure que les jours s’écoulaient. Il avait conscience de consacrer la plus grande partie de son temps à son travail et pour la première fois il commençait à penser que chaque minute qui passait était une minute irrémédiablement perdue…

Table ronde PhotoJT

Les séminaires à droite et à gauche, les réunions qui n’en finissaient pas ou les interminables discussions sur tel ou tel dossier lui semblaient de plus en plus vains et inutiles. Il avait besoin de vacances pour recharger ses batteries comme on dit, mais il avait besoin plus encore de se rapprocher de Victoire, de la retrouver. Elle restait, quoi qu’il en soit, son unique point d’ancrage dans cet univers mouvant et incertain, son fil d’Ariane dans le labyrinthe des jours. Alors, pourquoi pas Carcassonne ! De toute façon, là ou ailleurs, qu’est-ce que cela pouvait faire ? L’important n’était-il pas qu’ils puissent -enfin- sauver leur couple ? Le pire n’était pas certain mais il n’était plus très loin. Et les vacances restaient encore le meilleur moyen de briser la routine et les habitudes, la manière la plus appropriée de se donner l’illusion que tout pouvait renaître différemment.

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Les semaines qui les séparèrent de leur migration méridionale furent donc marquées par un embryon d’enthousiasme renaissant qui n’attendait que le soleil du Midi pour éclater au grand jour. Victoire commença même à tenir un journal, ou plutôt un carnet de vacances (carnet de voyage paraîtrait en l’occurrence un peu disproportionné) dans lequel elle comptait consigner tout ce qu’ils découvriraient là-bas. Ou plutôt, tout ce qu’elle découvrirait, bien décidée à se couler dans les traces de Bérenger Saunière et de son fantomatique trésor. Elle abandonna même rapidement les séances de luminothérapie qui lui avaient été conseillées par son employeur pour “retrouver du tonus” à raison de trente secondes d’exposition tous les deux jours à une lumière d’une intensité d’au moins 2500 lux. Le soleil de l’Aude s’en chargerait certainement beaucoup mieux. Et à meilleur prix !

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La veille du départ, Henry Lhéritier remit comme promis à la jeune femme le résultat de ses recherches sur René de Chalon, illustre inconnu de nos jours, mais dont le monument funéraire ornait la carte postale adressée par l’abbé à sa sœur. Le concierge, retraçant la courte vie de ce prince oublié, ne put s’empêcher de lui raconter comment René de Nassau, fils d’Henri III, stathouder de Hollande, et de Claude de Chalon, né à Breda aux Pays-Bas le cinq février 1519 hérita de la Maison de Chalon et de la principauté d’Orange en 1530 à la mort de son oncle Philibert. Elevé comme tous les grands nobles de cette époque, il se singularisa très jeune par une ardeur au combat qui lui valut, dès l’année suivante, d’obtenir des mains mêmes de Charles Quint le collier de la Toison d’or, distinction réservée par l’illustre monarque à ses sujets les plus fidèles et les plus valeureux. De banquets en batailles et de combats en ripailles, il se forgea une solide réputation qui le précédait partout où il passait, un peu comme ces oriflammes chamarrés portés par les gens d’armes de sa suite princière. Par une belle journée d’août 1540, le jeune héros, plutôt laid et bedonnant d’ailleurs, unit sa destinée à Anne, fille d’Antoine le Bon, duc de Lorraine et de Bar, sous les voûtes décorées pour l’occasion du château ducal. Henry Lhéritier lui donnait par moment tellement de détails que, pour un peu, on aurait cru qu’il avait assisté à la cérémonie ! Mais, comme ces comètes lumineuses qui traversent à toute allure l’immensité obscure des ténèbres, la destinée du jeune homme se brisa net devant les remparts de Saint-Dizier, petite place forte de Champagne, en 1544.

Alors qu’il rendait visite à l’un des camps militaires du Saint Empire Romain Germanique, le projectile d’une couleuvrine adverse lui traversa accidentellement l’épaule droite, occasionnant une épouvantable blessure que le chirurgien de campagne présent sur les lieux ne parvint pas à soigner. Le prince d’Orange expira en fin d’après-midi le même jour, un quinze juillet. Anne de Lorraine, sa veuve, avertie rapidement de la tragédie, entreprit de célébrer au plus vite la mémoire de son courageux époux en sollicitant Ligier Richier pour créer un monument qui ornerait son futur tombeau.

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Moins d’un an plus tard, le ciseau du sculpteur achevait son œuvre. Le Mausolée dit du cœur avait vu le jour. Un Transi exceptionnel, squelette de pierre très fine recouvert de lambeaux de peau, qui tend son cœur vers le ciel dans un geste d’offrande ultime.

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Au récit qu’il en avait rendu, Elle comprit que le vieil homme éprouvait une véritable compassion pour ce jeune seigneur mort quatre cent cinquante ans plus tôt et que la postérité ne nous avait légué que sous la forme d’une étonnante sculpture décharnée, dépouille grandiose léguée sans explication aux générations futures.

Préoccupée surtout par la préparation des valises, Victoire n’avait pas retenu grand-chose de ce rappel historique si ce n’est qu’Henry Lhéritier était résolument plus sensible qu’il ne le laissait paraître. Consciente néanmoins de l’ampleur des recherches qu’il avait entreprises pour elle, elle le remercia d’un baiser qui fit tressaillir une fois encore le pauvre homme dont les épais verres de lunettes masquaient une luisance lacrymale aisément perceptible.

Songeur, il la regarda monter l’escalier tout en lui souhaitant d’agréables vacances.

 

à suivre...

couv le cœur des écorchés 1

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