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Les livres de Jérôme Thirolle
26 novembre 2021

La Pastorale des santons de mon Village : M'sieur Anselme

 

M'sieur Anselme PhotoJT (2)


La Pastorale des santons de mon Village : M'sieur Anselme

Rien ne l’arrête, pas même ce petit vent froid d’automne qui souffle sur le village depuis plusieurs jours et qui, sans y paraître, vos glaces les sangs. Lui, c’est « M’sieur Anselme ». Il est revenu vivre ici il y a quelque temps déjà.

Personne ne l’a vraiment vu grandir au village car il est parti très jeune pour chercher du travail dans les bourgs plus importants des environs, à quelques dizaines de kilomètres de là. Une petite distance à l’échelle d’une carte mais une immensité ici pour ceux qui y vivent…

Privé de jeunesse, comme la plupart de ceux de son époque, il a longtemps travaillé dans une petite usine qui fabriquait des cierges d’église à partir de cire d’abeille blanchie avant d’intégrer une importante minoterie de la région où il a gravi petit à petit les échelons jusqu’à encadrer l’ensemble des contremaître. C’est pour cela qu’on ne parle de lui qu’avec respect, même si, rattrapé par l’âge, c’est une retraite heureuse qu’il coule désormais sur les lieux de son enfance. On finit toujours par retourner là d’où l’on vient.

Il y a quelques années encore, il ne serait revenu pour rien au monde, goûtant aux avantages de la grande ville et à tous ses bienfaits, loin du carcan étriqué de sa courte jeunesse ou les villageois vivaient –survivaient aux yeux de certains– enfermés dans les limites étroites d’un minuscule univers… Et pourtant, si on l’interrogeait aujourd’hui, il ne ferait pas machine arrière. 

Il ne regrette rien de sa quasi-demi-vie à avoir actionné ou fait actionner, du mieux qu’il ait pu, engrenages, pignons et rouages de toutes sortes, distillant de la cire ou éparpillant au vent de façon involontaire cette farine immaculée si fine qu’elle en devenait presque immatérielle, tout en dirigeant les hommes et les femmes qu’il avait sous ses ordres. Son travail, il l’avait toujours accompli avec le sens de bien faire, dans le respect dû aux taches qu’on lui avait confiées et avec la ferme volonté de transmettre cette satisfaction à celles et ceux qui l’accompagnaient sur son chemin professionnel… Ce n’était pas seulement un « emploi », c’était du « travail », son travail. Ce par quoi l’homme se réalise au quotidien, du moins quand il en a… 

Mais aujourd’hui, avec le recul et sans regret aucun, il préfère se promener avec son chien dans les collines environnantes, sans autre but précis que celui de profiter de la vie et des trésors innombrables et sans contrepartie de la Nature… Loin des mesquinerie et des turpitudes humaine…

C’est finalement le village de son enfance qui l’a décrassé de l’amertume qu’avait fini par lui laisser les patrons de la minoterie. Oh, n’allez pas croire qu’il leur en veut, non, il a toujours eu beaucoup de respect pour ceux qui dirigeaient l’entreprise, bien conscient de l’étendue de leurs supposées responsabilités, mais il ne parvenait pas à leur pardonner l’aveuglement dont ils firent parfois preuve en nommant à des postes élevés–voire très élevés- des hommes ou des femmes (car l’égalité entre les sexes et moins absente dans les absurdités managériales qu’elle ne l’est dans la vie de tous les jours !), des hommes et des femmes disais-je qui, tout en présentant d’indéniables qualités sur certains aspects, n’en démontraient pas moins de terribles inaptitudes flagrantes sur d’autres…

C’est ainsi qu’au mépris des plus grandes évidences, certains ou certaines finissent par occuper des postes hiérarchiquement supérieurs sans le mériter au demeurant…

Il conserve encore le souvenir de ce chef comptable, toujours sanglé dans de trop étroits costumes à carreaux, arborant avec autant de morgue que de mépris pour les autres sa suffisance naturelle et ses nœuds papillons… Un homme abject qui prenait un malin plaisir à tyranniser ses collaborateurs pour mieux asseoir son petit pouvoir sur le « petit royaume » qu’il s’était constitué à force de fiel et de méchanceté naturelle… 

Ou encore cette jeune femme avenante au premier abord qui présentait toutes les garanties attendues par son employeur : dynamique, investie, souriante et travailleuse… Un modèle ! Sur le papier, cependant…Car, au quotidien, très vite apparurent les premières lézardes, les premières brèches dans la belle image. Il lui avait fallu un peu de temps -car elle était sous ses ordres directs- pour mesurer combien le mensonge chez elle atteignait le rang d’une véritable pathologie, et combien sa déloyauté était aussi permanente qu’ancrée dans sa façon d’être. Il suffisait d’un rien pour qu’une contrariété se transformât en haine farouche, pour qu’une jalousie se traduisit aussitôt par de machiavéliques chausse-trapes dans lesquelles elle essayait de faire tomber ceux qu’elle n’aimait pas, qu’ils fussent ou non de zélés travailleurs…

Une réussite ? C’était forcément à elle qu’il fallait l’attribuer. Un problème ? Un échec ? La faute aux autres, évidemment… Dénuée de sens collectif, aveuglée par son sentiment de supériorité, elle s’était vite révélée être un « poison » au quotidien, entrecoupant l’angoisse qu’elle répandait autour d’elle par de soudains accès d’amabilité. Avec le temps, les uns et les autres, avaient fini par s’en méfier encore davantage que de ses banderilles… Et croyez-vous pourtant que ce noir tableau ait pu lui nuire d’une façon ou d’une autre ? La logique ou la morale auraient tendance à répondre favorablement à cette interrogation surprenante mais la réalité du monde du travail est parfois tout autre…

Mis en garde au moment de son embauche, M’sieur Anselme n’avait cependant pas prêté attention au sillage d’alertes qui émaillaient son expérience passée, mettant tout cela sous le coup de prédécesseurs qui n’avaient peut-être pas su y faire… Mais quelques années plus tard, il avait compris à quel point on peut accorder de l’importance à l’adage qui veut que « les mêmes causes produisent les mêmes effets ». Souffrant au jour le jour de cette présence qu’on peut qualifier sans erreur de toxique, il avait alerté la direction générale qui n’avait pas trouvé mieux finalement que de proposer un poste d’importance à celle qui gangrenait de son poison des services qui se seraient passés volontiers de cette forme de violence psychologique particulièrement pernicieuse…

Il est souvent plus simple de déplacer un problème que de vouloir le régler. Hélas…

Difficile à accepter pour lui tant son éthique personnelle en était marrie. Et c’est ainsi qu’il avait attendu, année après année, l’heure bénie où il pourrait enfin quitter cet environnement absurde dans lequel ne sont pas récompensés ceux qui font bien leur travail mais plutôt ceux qui savent mieux se vendre aux yeux des décideurs… Le jour venu, on l’a remercié sans plus, après des décennies de consacrés « bons et loyaux services ».

 

Dieu merci, tout cela était loin derrière lui maintenant et dans ce petit vent glacial du matin, il retrouvait toute l’énergie qui allait lui permettre d’aborder avec bonheur cette nouvelle journée qui commençait en compagnie de son chien fidèle…

Laissons donc s’éloigner M’sieur Anselme, laissons-le cheminer l’esprit léger et le cœur rempli de toutes les beautés offertes par les alentours du village : il les a bien méritées, lui !

 à suivre..

 

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